L’essentiel
- Elon Musk multiplie les « sondages » sur Twitter à la valeur scientifique ou démocratique proche de zéro.
- Avec ce rachat, cette plateforme essentielle au débat public s’en retrouve bouleversée, avec un risque de surreprésentation des contenus conservateurs.
- Les annonceurs, essentiels dans l’équilibre économique du réseau, craignent d’être associés à des contenus peu pertinents et contraires à leurs valeurs.
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Chaque jour est synonyme de rebondissements pour les salariés encore présents au sein de l’entreprise Twitter. Entre la suspension de Twitter Blue, ce nouveau service d’abonnement permettant à chacun d’obtenir un compte certifié, et la vague massive de licenciements, Elon Musk voit de nombreux problèmes survenir.
Un autre paramètre est aussi à prendre en compte, celui de l’audience. Derrière ce terme générique se cachent les utilisateurs du réseau et une réalité plus complexe. « Sur Twitter, nous ne parlons pas d’opinion publique. C’est un espace d’expression de comptes, non cadré par un système de questions. Le réseau a son propre système de calcul relevant d’une logique qui lui permet de trouver des indicateurs pour ses placements publicitaires », explique Dominique Boullier, sociologue et professeur des universités à Sciences Po Paris. Twitter est un capteur de tendances à partir de comptes dont on ne connaît pas la population de référence. »
L’essentiel
- Elon Musk multiplie les « sondages » sur Twitter à la valeur scientifique ou démocratique proche de zéro.
- Avec ce rachat, cette plateforme essentielle au débat public s’en retrouve bouleversée, avec un risque de surreprésentation des contenus conservateurs.
- Les annonceurs, essentiels dans l’équilibre économique du réseau, craignent d’être associés à des contenus peu pertinents et contraires à leurs valeurs.
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Chaque jour est synonyme de rebondissements pour les salariés encore présents au sein de l’entreprise Twitter. Entre la suspension de Twitter Blue, ce nouveau service d’abonnement permettant à chacun d’obtenir un compte certifié, et la vague massive de licenciements, Elon Musk voit de nombreux problèmes survenir.
Un autre paramètre est aussi à prendre en compte, celui de l’audience. Derrière ce terme générique se cachent les utilisateurs du réseau et une réalité plus complexe. « Sur Twitter, nous ne parlons pas d’opinion publique. C’est un espace d’expression de comptes, non cadré par un système de questions. Le réseau a son propre système de calcul relevant d’une logique qui lui permet de trouver des indicateurs pour ses placements publicitaires », explique Dominique Boullier, sociologue et professeur des universités à Sciences Po Paris. Twitter est un capteur de tendances à partir de comptes dont on ne connaît pas la population de référence. »
« L’horloge atomique du débat public »
L’arrivée d’Elon Musk a déjà provoqué moult remous. Le dernier en date est celui du « sondage » portant sur la réintégration ou non de Donald Trump sur Twitter, suspendu après l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021. Parmi les quinze millions de votants, 51,8 % ont répondu « oui ».
« Musk a dit que c’était la voix du peuple. Mais comment le faire exister ? C’est le rôle des sondages ou des élections. Cela reste une mécanique compliquée pour arriver à un minimum de crédibilité, poursuit Dominique Boullier. C’est une forme de parodie d’opinion, où il n’y a aucune possibilité pour un réseau social de légitimer une décision d’un collectif. Musk avait sans doute déjà acté ce retour et l’a habillé d’une couverture populaire, sans méthodologie. »
Quant à la notion de sondages sur Twitter, elle est aussi contestée par certains spécialistes. « Ce ne sont pas des sondages mais des votes de paille. Ils sont à l’image de ce qui se faisait déjà dans la presse au début du XXe siècle en France ou à l’étranger », analyse Richard Brousse, président de l’Observatoire des sondages. Ces votes sont encore plus biaisés que ceux émis par des sondeurs, sur des thèmes ou des questions définies par celui les mettant en place, à sa guise. Leur impact est directement corrélé à l’audience du compte auquel il est attaché et au capital social, économique, intellectuel et/ou culturel de son titulaire. » Ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle « habitus de classe ».
Habitus de classe
Pierre Bourdieu (1930-2002), sociologue holiste, considère que la société « forme » l’individu grâce à la socialisation. Il développe la notion d’habitus qui fait le lien entre l’individu et la société. Les comportements des groupes sociaux s’expliquent simplement par l’origine sociale, c’est-à-dire par l’environnement structuré en trois types de capital : économique (les revenus et le patrimoine), culturel (les savoirs, y compris ceux formalisés par les diplômes, les savoir-faire, les pratiques, les goûts…) et social (les réseaux de connaissances et de relations de la famille).
Avant de lancer ses consultations, Elon Musk ne réalise pas de campagne ou de débat. « C’est une caricature. Ce sont des référendums sans fondement. Il considère la démocratie de la sorte », énonce Dominique Boullier, pour qui Twitter est 'l’horloge atomique du débat public'. Le tweet par seconde est une mesure de rythme de la vie publique. En dix ans, tout le monde s’est mis à devoir réagir sur des thèmes devenus visibles à cause de Twitter notamment et repris partout ailleurs ».
Demain, plus de trolls et de conspirationnistes ?
Musk, en libertarien invétéré, prône donc une liberté d’expression totale sur le réseau. Des personnalités aux profils controversés ont fait leur grand retour : Jordan Peterson, psychologue canadien qui avait proféré des propos haineux contre la Secrétaire adjointe à la Santé des États-Unis et transgenre, Rachel Levine ou le site satirique conservateur The Babylon Bee.
Trolls, conspirationnistes et conservateurs peuvent alors s’en donner à coeur joie. « Il y a une polarisation sur Twitter qui profite à la droite et à l’extrême droite. Ce type de réseau favorise la prolifération de contre-vérités ainsi que la disqualification des adversaires, analyse Dominique Boullier. Depuis une quinzaine de jours, plusieurs marques ont réagi en annonçant qu’elles ne pouvaient pas être mêlées à ce type de discours. »
Or, si elles se désengagent, les revenus du réseau racheté 44 milliards de dollars s’effondreraient rapidement : au second trimestre 2022, la publicité pesait pour 91,5 % de son chiffre d’affaires !
Notre équipe de community managers a remonté des dizaines de captures d’écran de nos publicités à côté de contenus antisémites et de spams pornographiques, sans qu’il y ait de modérations durant plusieurs jours. Cela nous pose de vrais problèmes d’image et nous coûte de l’argent.
Un directeur marketing américain au média américain Blind.Pour le sociologue Dominique Boullier, « il y a une prime au tweet qui va déclencher de l’engagement. Les gens réagissent mais nous ne savons pas qui. Des armées de trolls ? Des algorithmes à partir de comptes créés automatiquement ? ».
Un article du Washington Post révèle que les datas de Twitter montrent une surreprésentation dans les membres de Twitter Blue -l’option premium à 8 dollars par mois, qui pourrait accroître la visibilité des posts-, d'« influenceurs politiques de droite conservatrice, de fans de cryptomonnaie et de porno ». Soit pas vraiment, le profil rêvé d’utilisateurs pour les grands annonceurs.
Qui est sur Twitter ?
En France, en 2021, Twitter comptait environ 11,28 millions d’utilisateurs et devrait atteindre le nombre de 12,93 millions en 2025. Toujours en 2021, 40 % des sondés de 16 à 25 ans utilisaient un compte Twitter dans l’Hexagone. Ils étaient 53 % en 2017 (-13 points).
Les États-Unis comprennent le plus grand nombre d’utilisateurs avec 76,9 millions suivis par le Japon (58,95 millions). La France arrive en douzième position (environ 10 millions).
Dans le programme de SES
Première. « Comment se forme et s'exprime l'opinion publique ? »