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Twitter, un modèle économique fragile menacé par Elon Musk ?
Sélection abonnésLes projets d’Elon Musk, qui promet de revitaliser le réseau social, pourraient fragiliser le business model de Twitter, un réseau minuscule à côté de Facebook ou TikTok.
Stéphanie Bascou
© © Andrea Ronchini/Pacific Press
En rachetant Twitter, Elon Musk ne cherche pas à « gagner de l’argent », affirmait l’homme d’affaires controversé sur un ton un brin provocateur le 14 avril dernier, quelques heures après son offre de rachat de la plateforme de microblogging. Non, le fantasque milliardaire aurait bien conscience que malgré un « potentiel énorme », la firme à l’oiseau bleu est loin d’être florissante.
« Prenez l’argent et fuyez », aurait conseillé le cabinet d’études new yorkais MoffettNathanson aux membres du conseil d’administration, alors qu’ils tergiversaient face à la proposition du patron de Tesla. Douze jours plus tard, l’offre était acceptée, à un prix, selon certains, bien au-dessus de la valeur réelle de la plateforme. Pour David Trainer, PDG de la société de recherche en investissement New Constructs, cité par Fortune, une action Twitter ne vaudrait pas plus de 10 ou 15 dollars, bien loin du prix payé par le patron de Tesla, à savoir 54,20 dollars.
En rachetant Twitter, Elon Musk ne cherche pas à « gagner de l’argent », affirmait l’homme d’affaires controversé sur un ton un brin provocateur le 14 avril dernier, quelques heures après son offre de rachat de la plateforme de microblogging. Non, le fantasque milliardaire aurait bien conscience que malgré un « potentiel énorme », la firme à l’oiseau bleu est loin d’être florissante.
« Prenez l’argent et fuyez », aurait conseillé le cabinet d’études new yorkais MoffettNathanson aux membres du conseil d’administration, alors qu’ils tergiversaient face à la proposition du patron de Tesla. Douze jours plus tard, l’offre était acceptée, à un prix, selon certains, bien au-dessus de la valeur réelle de la plateforme. Pour David Trainer, PDG de la société de recherche en investissement New Constructs, cité par Fortune, une action Twitter ne vaudrait pas plus de 10 ou 15 dollars, bien loin du prix payé par le patron de Tesla, à savoir 54,20 dollars.
Twitter n’est jamais devenu un réseau grand public
Elon Musk fera-t-il forcément une mauvaise affaire ? Les comptes de la plateforme sont dans le vert depuis 2018, malgré un accident de parcours en 2021. Au premier trimestre 2022, elle a dégagé un profit net de 513,3 millions de dollars : un chiffre honorable, mais en dessous des attentes. Comme toutes ses consœurs de la tech, Twitter a vu ses premières années d’existence marquées par des pertes importantes avant d’atteindre la rentabilité. Mais la société, fondée en 2006, « n’est jamais devenue un réseau grand public. Elle n’a jamais réussi à atteindre une diffusion massive : ses 229 millions d’utilisateurs pèsent peu face aux 2,9 milliards de Facebook », rappelle l’économiste des plateformes Thierry Penard.
Or c’est cette faible audience qui explique sa position en queue du classement des géants numériques, car son chiffre d’affaires dépend de son nombre d’utilisateurs. « Twitter capte notre temps d’attention à nous, les utilisateurs, pour le revendre à des annonceurs qui, eux, vont acheter des espaces publicitaires sur la plateforme » résume Irénée Régnauld, chercheur associé à l’université de technologie de Compiègne. « Ils font donc tout pour que vous restiez le plus longtemps possible sur le réseau social, en se basant sur un savant mélange d’intérêts communautaires, d’indignations permanentes, de réactions, de flux et de buzz », détaille le spécialiste.
La plateforme n’a jamais investi massivement dans la modération
Problème : le réseau social des hommes politiques et des journalistes aurait fini par devenir, pour certains, un lieu à éviter en raison de sa mauvaise modération (ensemble de règles d’interaction et de savoir-vivre à respecter). Les modérateurs sont chargés de supprimer des messages racistes, dangereux ou violents, voire d’exclure des utilisateurs, comme l’a été Donald Trump après l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021.
Or « la plateforme n’a jamais investi dans la modération et le contrôle de ce qui est posté, contrairement à YouTube ou Facebook, tout simplement parce qu’elle n’en a pas les moyens financiers. On y trouve toujours beaucoup de haine et de harcèlement », souligne le professeur d’économie numérique Thierry Penard.
Voilà pourquoi le réseau social a échoué à capter massivement les recettes du marché de la publicité en ligne, sa part ne revenant qu’à 1 %, selon l’agence Insider Intelligence… contre 20 % pour Facebook. Twitter ne valait « que » 30 milliards de dollars (avant l’offre d’Elon Musk) avec un chiffre d’affaires à 5 milliards de dollars pour 2021. À côté, Facebook a une valorisation vingt fois plus importante (624 milliards de dollars) et un revenu annuel de 117 milliards de dollars.
« Un réseau qui ne gagne pas beaucoup d’argent, mais qui n’est pas non plus très coûteux »Thierry Penard,
Économiste des plateformes.
Twitter ne pourrait-il pas tout simplement augmenter ses revenus en proposant plus de publicité à ses utilisateurs ? La société aurait déjà atteint le seuil maximal, estime l’expert financier Jack Ciesielski mandaté par le magazine américain Fortune. Il serait impossible pour la société d’augmenter ses profits sans se mettre à dos ses clients, car « personne ne veut être bombardé de publicités lorsqu’on lit ou publie des tweets ». Et si les publicités deviennent trop envahissantes, les utilisateurs de Twitter pourraient se tourner vers des plateformes concurrentes.
À côté de la publicité, Twitter tente également de mettre en place d’autres sources de revenus, à l’image de Twitter Blue, un abonnement payant pour les particuliers pour l’instant disponible aux États-Unis, ou encore l’outil de paiement Super Follows. Mais ces nouveautés n’aideront pas l’entreprise, qui a l’objectif de porter son chiffre d’affaires à 7,5 milliards de dollars d’ici 2023, à augmenter sensiblement ses recettes.
Pour autant, une fois qu’il l’aura acquise, Twitter ne devrait pas coûter beaucoup à Musk, avance Thierry Penard. « C’est un réseau qui ne gagne pas beaucoup d’argent, mais qui n’est pas non plus très coûteux. Ses dépenses sont maîtrisées : ils n’ont pas de contenus à produire », liste-t-il.
Les propositions de Musk, bombes à retardement pour son modèle économique
Pour autant, Elon Musk n’a pas l’intention de laisser Twitter tel quel. Il veut par exemple rendre les algorithmes open source, ce qui signifie que tout utilisateur pourrait non seulement en avoir connaissance, mais aussi les modifier. Ce sont ces formules informatiques qui déterminent et qui organisent le contenu auquel accède l’utilisateur sur son fil Twitter. En théorie, cela permettrait aux clients de comprendre comment les décisions relatives au contenu sont prises, une demande régulière des pouvoirs publics. Jusqu’à présent, aucun réseau social n’a jamais rendu accessible ou expliqué son algorithme.
Mais alors, Twitter ne contrôlerait plus ses algorithmes. La société devrait bien réfléchir avant de céder ces données, avertit le Financial Times qui s’interroge : « pourrait-il continuer à percevoir des revenus publicitaires ? Ou laisserait-il les développeurs travaillant sur ces algorithmes facturer des abonnements et tenterait-il ensuite de prélever une partie de ces frais ? »
Le patron de Tesla et SpaceX souhaite aussi réduire la modération, à arbitrer face à la liberté d’expression. L’arbitrage est toujours, selon les points de vue, soit trop laxiste, soit trop sévère, voire partisan.
Dans ce débat, Elon Musk s’est toujours présenté comme le chevalier blanc d’une « liberté d’expression » au sens du premier amendement de la constitution américaine (on peut absolument tout dire). Réduire encore la modération sur Twitter pourrait faire fuir les annonceurs. Dans le passé, des entreprises comme Coca-Cola, Starbucks ou encore Walmart ont boycotté YouTube et Facebook pour cause de modération insuffisante et surtout pour éviter d’apparaître à côté de messages douteux.
« Le risque est qu’en modérant moins, on ait plus de conduites violentes, et moins de liberté d’expression »Irénée Régnauld,
Chercheur associé à l’université de technologie de Compiègne
L’absence de modération a déjà été expérimentée par Twitter en 2016 : « cela ne fonctionne pas et Elon Musk va très vite le découvrir », indique le chercheur Irénée Régnauld. « Le risque est qu’en modérant moins, on ait plus de conduites violentes, et moins de liberté d’expression. Le réseau social pourrait de fait être rendu moins convivial pour toute une communauté d’utilisateurs qui voudront peut-être en partir », ajoute-t-il. Par exemple, la youtubeuse Lena Situations, victime de plusieurs vagues de haine en ligne, avait quitté Twitter en décembre 2021.
Que ferait Elon Musk d’une place publique numérique désertée ? Bien qu’il semble n’avoir cure des conséquences économiques de ses propositions, il pourrait changer d’avis si une masse d’utilisateurs quittait le réseau, lassés par l’absence de modération. Car son objectif est bien de s’acheter de l’influence, à l’image de Jeff Bezos le patron d’Amazon avec le Washington Post, analyse Irénée Régnauld. À la tête du réseau, il pourrait ne jamais être censuré, et aurait une influence politique et médiatique inédite.
Car contrairement aux médias traditionnels, il n’existe au sein de Twitter aucune règle stricte qui sépare le contenu éditorial des intérêts commerciaux de son propriétaire. Un garde-fou, qui vient tout juste de naître en Europe, pourrait mettre à mal ses projets de modifications de Twitter, et permettre de maintenir le fragile équilibre économique que Twitter a fini par trouver. Le Digital Service Act, qui s’impose désormais aux plateformes opérant au sein de l’Union européenne, contraint au renforcement de la modération. Cela aurait-il échappé à Elon Musk ?
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