La constitution actuelle, celle de la Ve République, a été adoptée le 4 octobre 1958. Même si elle a été révisée à de nombreuses reprises (24 fois), l’article 49 alinéa 3 n’a jamais été abrogé. Son usage a été réglementé mais le principe même de cette disposition n’a lui jamais été remis cause.
Dans la partie consacrée aux rapports entre le Parlement et le gouvernement, notre Constitution prévoit en effet que le Premier ministre peut « engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée Nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée […] ».
Ainsi, lorsqu’un gouvernement pense que l’un de ses textes pourrait être rejeté, il peut actionner le 49.3 pour être certain qu’il soit adopté (puisqu’il n’y aura pas de vote à l’Assemblée nationale).
49 alinéa 3
Cet article permet au Premier Ministre d’engager la responsabilité du gouvernement, devant l’Assemblée nationale, pour faire adopter un projet de loi sans procéder au vote de l’Assemblée. Pour ne pas que ce projet de loi, les députés de l’opposition doivent déposer une motion de censure. Si elle est votée par, le projet n’est pas adopté. Et surtout, le gouvernement doit démissionner.
C’est ce qu’a fait la Première ministre Élisabeth Borne pour que le projet de loi de finance et le budget de la sécurité sociale 2023 soient adoptés. Elle craignait que ses textes puissent être rejetés par une coalition des oppositions. Aussi a-t-elle choisi de « passer en force », ce qui conduit des opposants à surjouer l’indignation. Loin d’être un « déni de démocratie », l’usage du 49.3 sert d’abord à éviter les blocages législatifs lorsqu’un gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Seule contrepartie : le Premier ministre engage sa responsabilité et celle de son gouvernement ; les groupes de l’opposition peuvent déposer une motion de censure qui, si elle était votée, entraînerait la démission du gouvernement. Ce résultat ne s’est encore jamais produit et ne devrait pas non plus se produire contre le gouvernement d’Élisabeth Borne, sauf si toutes les oppositions venaient à s'entendre pour voter ensemble une motion de censure.
Michel Rocard, le recordman du 49.3
C’est la 90e fois que le 49.3 est utilisé depuis 1958. Il ne s’agit donc pas d’une pratique inédite. Au cours de l’histoire de la Ve République, il y a cependant un Premier ministre qui se détache nettement par son usage conséquent de cet article : Michel Rocard l’a utilisé à 28 reprises entre 1988 et 1991 ; soit nettement plus que ceux qui le suivent au « classement » du 49.3 (Raymond Barre – 1976-1981 –, Jacques Chirac – 1986-1988 – et Edith Cresson – 1991-1992 – l’ont chacun utilisé à… huit reprises seulement).
Pour comprendre pourquoi Michel Rocard détient un tel record, il est indispensable de revenir sur la vie politique française à l’époque. François Mitterrand achève son premier mandat de président de la République (1981-1988) par deux années de cohabitation : en 1986, la droite l’emporte aux élections législatives, ce qui conduit à la nomination de Jacques Chirac comme chef de gouvernement.
En 1988, les deux hommes s'affrontent à l’élection présidentielle. Si François Mitterrand l’emporte assez largement au second tour, avec 56 % des voix, il est néanmoins contraint de procéder à une dissolution de l’Assemblée nationale (puisqu’elle est majoritairement à droite depuis 1986).
Or, lors des élections législatives de 1988, le parti socialiste et ses proches alliés ne parviennent pas à obtenir une majorité absolue. Comme Élisabeth Borne aujourd’hui, le Premier ministre de l’époque, Michel Rocard, doit composer avec une majorité relative (275 députés – la majorité absolue se situant à 288 députés). Le groupe communiste dispose bien de 25 députés, ce qui suffirait à faire l’appoint. Mais il faut alors se rappeler que les communistes ne veulent plus s’associer aux socialistes : en 1984, les ministres communistes ont claqué la porte du gouvernement, en raison du « virage libéral » pris par la politique économique de François Mitterrand au cours de son premier mandat.
« Tournant de la rigueur »
Désigne le changement radical de politique économique, décidé en mars 1983 par François Mitterrand après l’échec d'une politique de relance keynésienne. Alors que la situation internationale de la France est très mauvaise (dévaluations successives, déficit budgétaire...), Jacques Delors, ministre de l'Économie, des Finances et du Budget, met en place une politique de rigueur : compressions budgétaires, nouvelles taxes...
En 1988, même s’il reste possible de dialoguer avec les députés communistes, Michel Rocard ne peut pas compter sur l'union systématique de la gauche. Avec François Mitterrand, il décide d’ouvrir son gouvernement à des personnalités du centre et à d’autres issues de la société civile, de façon à donner des gages aux députés du centre-droit les plus modérés qui se trouvent alors dans l’opposition.
Majorité stéréo
De ce fait, Michel Rocard parvient à faire passer des textes très importants – comme l’intronisation de la CSG ou la mise en place du RMI – en bénéficiant de majorités de circonstance, parfois avec des voix communistes, parfois avec des voix centristes. Le terme de « majorité stéréo » peut être forgé…
Cette stratégie est beaucoup moins envisageable pour le gouvernement actuel : tout d’abord, Michel Rocard ne devait convaincre que 14 députés ne se situant pas directement dans sa majorité – contre près de 40 pour Élisabeth Borne aujourd’hui ; ensuite, les différentes oppositions semblent très « remontées » contre la politique du gouvernement, ce qui rend le dialogue très difficile.
Reste que, dans de nombreux cas, en dépit de cette habile stratégie, Michel Rocard ne parvenait pas à s’assurer d’une majorité à l’Assemblée nationale pour que ses projets de lois soient votés. Il devait alors recourir au 49.3.
C’est ainsi qu’ont été directement adoptées les lois introduisant le CSA ou la programmation militaire (1990-1993). Michel Rocard a donc été le champion du 49.3. Une possibilité qui ne sera pas offerte à Élisabeth Borne.
En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2008, impulsée par Nicolas Sarkozy, un gouvernement dispose d’un usage limité du 49.3 : le Premier ministre peut l’utiliser pour l’adoption des projets de loi de finance et de financement de la sécurité sociale, et recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. On peut penser qu’Élisabeth Borne ne remercie pas Michel Rocard…
Dans le programme de SES
Seconde. « Comment s’organise la vie politique ? »