Entre 1400 et 1900, le continent africain a connu quatre grandes traites d’esclaves. La traite dite « transatlantique » fut la plus importante. Des esclaves venant principalement de l’ouest et de l’est de l’Afrique furent déportés vers les colonies européennes du Nouveau Monde. Les trois autres traites furent de moindre envergure bien qu’elles aient débuté avant la traite transatlantique.
La traite dite « transsaharienne » déportait les esclaves du sud du désert saharien vers l’Afrique du Nord. Dans la traite dite « de la mer Rouge », les esclaves étaient capturés dans les pays bordant cette mer, puis expédiés au Moyen-Orient et en Inde. Enfin, dans la traite dite « de l’océan Indien », les esclaves étaient capturés en Afrique de l’Est puis expédiés dans des plantations situées dans diverses îles ou pays de l’océan Indien.
On estime qu’entre 1400 et 1900, 20 millions de personnes furent enlevées du continent africain pour être réduites en esclavage dans d’autres régions de la planète. Si la traite des esclaves n’avait pas existé, en 1800, la population de l’Afrique aurait dû être deux fois plus nombreuse que ce qu’elle fut en réalité.
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Un professeur d’économie à l’université Harvard, Nathan Nunn, a voulu chiffrer l’impact de ces quatre grandes traites d’esclaves sur le développement économique du continent africain. Pour cela, à partir des documentations historiques disponibles, il a d’abord construit des estimations fiables du nombre d’esclaves prélevés dans chaque pays d’Afrique au cours de la période 1400-1900.
Si les traites sont en partie responsables du sous-développement actuel de l’Afrique, on devrait observer que les zones de ce continent les plus pauvres aujourd’hui sont aussi les zones où le plus grand nombre d’esclaves ont été enlevés dans le passé. La figure 1 montre que c’est bien le cas. Elle met en évidence une corrélation décroissante entre le nombre d’esclaves capturés dans un pays (en proportion de sa population) au cours de la période 1400-1900 et le revenu par habitant de ce pays en l’an 2000.

Source : figure IV dans The Long-Term Effects of Africa’s Slave Trades, Quarterly Journal of Economics 123, pp. 139-176, Nathan Nunn, 2008.
Densité/prospérité
Mais cette corrélation ne traduit pas forcément une relation de cause à effet, car il est possible que les régions d’Afrique d’où fut prélevé le plus grand nombre d’esclaves étaient initialement les plus pauvres. La figure 1 ne ferait que refléter, au moins en partie, la persistance du sous-développement.
Pour tester cette éventualité, Nathan Nunn s’appuie sur un constat bien documenté par les économistes du développement, à savoir que sur le long terme, la densité de la population est un bon indicateur de la prospérité. Il examine alors la relation entre l’intensité de la traite des esclaves dans un pays entre 1400 et 1900 et la densité de la population du pays en 1400. La figure 2 indique que ce sont les parties de l’Afrique initialement les plus prospères – et non les moins prospères – qui ont fourni le plus grand nombre d’esclaves.
L’hypothèse d’une persistance du sous-développement ne tient pas. La traite des esclaves est donc très vraisemblablement une cause majeure de la faiblesse de la croissance du continent africain sur le long terme.
Grâce aux données qu’il a pu récolter, Nathan Nunn a calculé que la traite des esclaves explique 72 % de l’écart de revenu moyen entre l’Afrique et le reste du monde, elle explique même 99 % du même écart avec les autres les pays en développement. En d’autres termes, sans la traite des esclaves, l’Afrique ne serait pas la région la plus sous-développée du monde.
Elle aurait un niveau de développement similaire à celui de l’Amérique latine ou de l’Asie.De nombreuses études ont mis en exergue l’importance des « institutions » – parmi lesquelles, le fonctionnement de l’État et l’indépendance de la justice – sur la croissance économique. Or Nathan Nunn montre précisément que la traite des esclaves a eu un impact particulièrement néfaste sur ces institutions.
Ethnie contre ethnie
Les pays d’où furent prélevés le plus grand nombre d’esclaves sont aussi ceux qui ont connu le plus faible développement de leurs structures politiques et judiciaires. La traite des esclaves a exacerbé les antagonismes entre les diverses ethnies d’un même territoire, des membres d’une ethnie allant souvent capturer des personnes d’une autre ethnie pour les vendre sur un marché aux esclaves.
En empêchant la création de structures étatiques communes efficaces et fiables, la traite des esclaves apparaît en haut de la liste des coupables du sous-développement du continent africain.
Crédits photo : People with baskets and sacks pick cotton on a plantation, James Richard Barfoot, CC BY 4.0, via Wikimedia Commons.
En partenariat avec le Center for Economic Policy Research.
