Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707), l’architecte militaire au service d’une fiscalité équitable
Architecte, ingénieur, urbaniste et militaire, Vauban est le maître d’œuvre, sous le règne de Louis XIV, du système de défense du royaume, la « ceinture de fer », dense réseau de citadelles et fortifications. Indigné par la Grande Famine de 1693-1694, cause de la mort du vingtième de la population française, le stratège militaire monte à l’assaut du système fiscal dans La Dîme royale (1707). .
Il propose rien de moins que la suppression de tous les impôts et taxes existants, ces « pestes publiques » qui détournent les classes laborieuses des activités productives, mais il demande aussi la fin de toutes les exonérations (« niches ») fiscales. Il préconise une contribution générale, impôt unique par capitation prélevé sur tous les revenus, y compris ceux des ordres privilégiés et du monarque. L’ouvrage est immédiatement interdit par le pouvoir.
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Source d’inspiration majeure, en France comme en Angleterre, jusqu’à la Révolution française, Vauban est précurseur de notre impôt progressif, mais aussi de la courbe de Laffer, selon qui « trop d’impôt tue l’impôt ».
John Law de Lauriston (1671-1729), l’aventurier au chevet de la crise monétaire
Amateur de jeux de hasard, prodige des mathématiques, banni d’Angleterre pour duel, l’Écossais Law devient contrôleur général des finances du régent Philippe d’Orléans. Il met à profit son esprit d’aventure et son goût du risque pour inventer la plus audacieuse entreprise financière de son siècle. Il est persuadé que « la monnaie est dans un État ce que le sang est au corps humain ; sans l’un, on ne saurait vivre, sans l’autre, on ne saurait agir. La circulation est nécessaire à l’un comme à l’autre » (Considérations sur le numéraire et le commerce, 1705).
Afin de combler le déficit abyssal de l’État (dix ans de recettes fiscales) et de suppléer au manque de liquidités dans l’économie, il invente le fameux « système de Law ». Celui-ci repose sur l’indexation des transactions courantes sur une monnaie papier (l’assignat), billet dont le cours est garanti par une Banque royale. Ce système fiduciaire permet la titrisation de la dette et le développement économique du royaume par expansion du crédit.
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Law crée aussi la compagnie du Mississippi, qui jouit du monopole des exportations vers la colonie de Louisiane et émet des actions échangées rue de Quincampoix, première Bourse de Paris. Il lance ainsi la France, entre 1716 et 1723, dans la première grande bulle spéculative de son histoire, qui se solde par une banqueroute retentissante. C’est donc à la fois l’invention de la planche à billets et la découverte des comportements de panique boursière.
Père de la finance moderne, Law peut être considéré comme le premier banquier central, puisqu’il a compris que le contrôle de la création monétaire est un puissant levier de l’économie.
Bulle spéculative
Situation de hausse du prix d'un actif financier ou immobilier au delà de sa valeur réelle correspondant aux données économiques et financières réelles. Cette hausse résulte du mimétisme et des anticipations auto-réalisatrices des spéculateurs.
Robert Owen (1771-1858), l’entrepreneur au secours des ouvriers
Industriel du textile qui gravit tous les échelons (il commence à dix ans chez un drapier), Robert Owen devient l’un des grands patrons du capitalisme britannique. Il se fait connaître dès 1806 lors de l’une des premières crises productives de la Révolution industrielle. S’opposant aux licenciements massifs et aux baisses de salaires, il propose, plus d’un siècle avant Keynes, une politique de hausse du salaire ouvrier destinée à augmenter les débouchés en dopant la demande.
Par la suite, il fait de ses différentes entreprises le laboratoire d’une politique sociale progressiste fondée sur la doctrine « 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heures de sommeil ». À une époque où la journée dépasse fréquemment 16 heures de labeur, cette mesure, qui sera le slogan de la Première internationale ouvrière en 1864, est révolutionnaire.
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Considéré comme le père du socialisme utopique et le fondateur du mouvement coopératif, cet homme d’action expérimente un modèle managérial (« incentive management ») fondé sur la motivation à l’ouvrage, le bien-être au travail, le respect du capital humain. Certes paternaliste, il est aux antipodes de la division scientifique du travail préconisée, au siècle suivant, par le taylorisme, le fordisme et le toyotisme.
Antoine-Augustin Cournot (1801-1877), le mathématicien analyste des marchés
Philosophe, géomètre, astronome, Cournot est initié à l’économie dans les salons, où il décide de mettre les mathématiques au profit de la modélisation. Il est le premier à utiliser le calcul différentiel et les intégrales pour enrichir la compréhension des marchés. Ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838) proposent une typologie des marchés, esquissent la première théorisation de l’offre et de la demande, mais aussi de la concurrence monopolistique. Il forge de nouveaux outils promis à un riche avenir tels que l’élasticité-prix et le coût marginal.
Élasticité-prix
C'est un indicateur qui mesure la réaction de la demande (par exemple des consommateurs) face à une variation du prix d’un service ou d’un produit. L’élasticité-prix est, en règle générale, de signe négatif, car la demande est une fonction décroissante du prix (loi de la demande).
Précurseur de la révolution marginaliste de Léon Walras, Cournot est aussi annonciateur de la théorie de Nash par ses analyses sur l’équilibre entre deux producteurs, dit « équilibre de Cournot ». Méconnu de son vivant, en marge de la communauté économique, il est aujourd’hui considéré comme le pionnier de l’économie mathématique.
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Michel Houellebecq (1956-), le prophète d’un capitalisme à bout de souffle
Quelle ne fut pas la surprise des lecteurs de Houellebecq lorsque Bruno Le Maire qualifia le romancier de héraut de la réindustrialisation. Quelques mois plus tard, le ministre de l’Économie et des Finances apparaissait dans le roman Anéantir (2022), plongée dans la politique économique d’un monde voué à l’effondrement. Bernard Maris avait déjà relevé le paradoxe dans Houellebecq économiste (2014), démontrant la vision macroéconomique de celui qui se présente pourtant comme l’adversaire implacable de la société de marché, dont l’œuvre romanesque est relue à l’aune de Malthus, Marshall, Marx, Keynes ou Schumpeter.
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En lieu et place de la bourgeoisie conquérante du capitalisme triomphant esquissée par la fresque balzacienne, l’écrivain satirise les rites professionnels (séminaires, team building) des cadres moyens. Il dénonce la bulle informatique dans Extension du domaine de la lutte, l’exploitation dévoyée de la recherche dans Les Particules élémentaires, le boom du tourisme dans Plateforme, l’essor du show-business dans La Possibilité d’une île, ou le désarroi du monde agricole livré aux marques dans Sérotonine.
Prophétisant la disparition de l’espèce humaine vouée à l’obsolescence programmée, il raille les fausses promesses du marketing, les manipulations du management au sein d’un capitalisme postindustriel où « les cadres montent vers leur calvaire » et où « la machine sociale avance vers des objectifs inconnus » (Le Sens du combat). Un portrait au vitriol des impensés et angles morts de la science économique.
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Cet article est issu de notre numéro consacré aux économistes disponible par ici.