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Comment la religion catholique a défavorisé l'industrialisation au XIXe siècle

La chercheuse Mara Squicciarini a découvert que l’émergence des compétences techniques comme base de la deuxième révolution industrielle (1870-1914) a défavorisé économiquement les régions françaises sous forte influence catholique.

André Zylberberg, directeur de recherche émérite, Centre d’économie de la Sorbonne
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© Pierre GLEIZES/REA

À la fin du XIXe siècle, 98 % de la population française était catholique, mais l’intensité de la foi, et donc son influence, était plus ou moins forte selon les endroits.

Pour appréhender ce phénomène, une professeure de l’université Bocconi de Milan a construit un « indice de la religiosité »1 à l’échelle de chaque département, qu’elle assimile à la part locale du clergé réfractaire.

Rappelons que ce dernier se définit par son refus de la Constitution civile du clergé promue par le gouvernement révolutionnaire, en 1791. Or la décision d’un ecclésiastique de prêter ou non allégeance à cette constitution était en grande partie déterminée par les convictions religieuses de sa communauté d’exercice.

La part du clergé réfractaire est donc une bonne mesure de la religiosité au niveau local. Sur la France entière, environ 42 % du clergé s’était déclaré réfractaire (aux deux extrêmes : 88 % dans le Morbihan, 4 % dans le Var). L’étude établit que les endroits où la religiosité était plus élevée ont connu un développement économique plus faible pendant la deuxième révolution industrielle.

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Le graphique montre ainsi qu’en 1866 – quatre ans avant que débute la deuxième révolution industrielle –, la part de l’emploi industriel n’est pas liée à la religiosité. Mais en 1901 – soit 31 ans après le début de cette deuxième révolution –, la part de l’emploi industriel se trouve négativement liée à la religiosité.

Une Bible ou un emploi

Reste à comprendre par quel canal la religiosité a pu influencer le développement économique local. Mara Squicciarini observe que les zones les plus religieuses ont adopté plus lentement l’enseignement « technique » à l’école primaire alors que l’éducation catholique était en hausse.

Le canal recherché serait donc la plus ou moins grande diffusion de l’enseignement technique. Par des procédures économétriques adéquates, l’auteure s’attache alors à éliminer tous les autres canaux d’explication plausibles.

En particulier, les investissements publics auraient pu expliquer les différences dans l’industrialisation des territoires dès lors que ces investissements auraient été plus importants dans les zones peu religieuses.

Ce n’est pas le cas. C’est donc bien par le biais d’un frein à l’enseignement technique que la religion a agi négativement sur le développement économique de certaines parties du territoire français.

Pour l’Église catholique, mieux valait que les élèves assimilent les Saintes Écritures plutôt que des rudiments techniques « économiquement utiles », mais un peu trop laïcs à son goût.

Pour conforter ces résultats, l’auteure met en relation la proportion d’écoles catholiques dans un département pendant la deuxième révolution industrielle et le niveau futur de l’emploi industriel dans ce département.

Il apparaît que cette proportion est significativement associée au niveau de l’emploi industriel environ 10 à 15 ans plus tard. Mara Squicciarini estime que passer d’une zone où l’enseignement catholique est largement dominant à une zone où, à l’inverse, l’enseignement laïc domine largement, aurait augmenté la part de l’emploi industriel de plus de six points de pourcentage.

Des « bras » plus qualifiés

L’auteure constate en revanche que la religiosité n’a pas eu d’influence lors de la première révolution industrielle (1780-1810). La raison en est que les compétences de la main-d’œuvre importaient peu. Il fallait surtout « des bras ».

En revanche, les machines sophistiquées apparues lors de la deuxième révolution industrielle exigeaient une main-d’œuvre plus qualifiée. Avoir acquis les bases d’une formation « technique », principalement diffusées dans les écoles laïques, cela s’accordait bien avec cette exigence.

La formation « technique » contenait des éléments d’arithmétique et de géométrie, l’étude du système métrique, et leurs applications dans l’usage de certains outils.

Les heures passées à étudier ne transformaient pas les écoliers en travailleurs qualifiés, mais leur donnaient l’aptitude intellectuelle pour apprendre sur le tas ce dont ils avaient besoin dans leur métier. Ce qu’une éducation purement religieuse ne permettait pas.

Trois siècles de progrès

La première révolution industrielle, celle du charbon et des machines à vapeur (1780-1810), est née au Royaume-Uni. Les machines à coudre mécaniques, en particulier, permettent l’expansion de l’industrie textile. Elle voit aussi l’apparition de la métallurgie et de la sidérurgie favorisant la construction d’infrastructures de transports comme les ponts et le réseau ferré.

La deuxième (1870-1914) débute en Allemagne et aux États-Unis. Elle est celle du pétrole et de l’électricité. L’industrie chimique et le secteur automobile connaissent un essor qui ne faiblira plus. Les moyens de communication comme le télégraphe et le téléphone favorisent l’expansion du commerce international.

On considère que depuis le milieu du XXe siècle, nous vivons une troisième révolution industrielle liée au développement de l’informatique, du numérique et des nouvelles technologies de l’information. Certains voient enfin dans l’Internet des objets (IoT) une quatrième révolution industrielle.

Sources

1. “Devotion and development : Religiosity, education, and economic progress in 19th-century France”, Mara Squicciarini, VOX, CEPR Policy Portal, 18 aout 2019