Le populisme est d’une redoutable actualité avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Suède et en Italie, un possible retour de Trump aux États-Unis, la tentation d’une révolution d’extrême gauche en Europe. À l’origine, le populisme désigne le mouvement russe des années 1860 qui voulait unifier la paysannerie et toutes les strates du peuple contre le tsarisme. Le mot s’est imposé fin XIXe- début XXe. Le phénomène politique, lui, est plus ancien.
Des démagogues de l’Antiquité aux partis radicaux contemporains qui préemptent le « Peuple ». L’étude des populismes intéresse la sociologie du politique, en charge de la cohésion sociale, et la sociologie générale, puisque cette doctrine propose toujours une vision de la société et de sa population.
Les fondateurs de la sociologie (Durkheim, Weber) reconnaissaient en la démocratie le régime politique le plus souhaitable ou rationnel, ils se méfiaient des démagogues. Weber, dans sa théorie de la domination, met au jour le charisme du chef (homme ou femme) que la population voit paré de qualités extraordinaires, hors du commun des mortels, possible sauveur d’une société dans la tempête ou le déclin.
En effet, les populismes s’identifient à un réductionnisme analytique, romantique, où l’émotion, la communauté affective l’emportent sur la raison dans l’analyse sociale. Ils s’appuient sur une vision manichéenne et déséquilibrée du réel, d’où le recours à la démagogie pour unifier un peuple imaginaire.
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Protestataire de gauche, identitaire de droite
Après la révolution russe de 1917, des leaders populistes à visée progressiste sont parvenus au pouvoir en Amérique latine. Ils ont donné, dans les années 1950, un modèle historique du phénomène via Perón (Argentine) ou Vargas (Brésil) jusqu’à nos jours dans huit pays de la zone. Cela fournit à Pierre-André Taguieff une typologie bipolaire : un populisme protestataire, de gauche, et un populisme identitaire, de droite. Le populisme de droite radicale est représenté en France par le RN ou Reconquête, au Royaume-Uni par l’UKIP, ailleurs par le parti autrichien de la Liberté (FPÖ), les Démocrates de Suède (SD), au pouvoir depuis septembre dernier. En Italie, les Frères d’Italie, héritiers du néofascisme, ont une dirigeante devenue première ministre en octobre 2022.
L’extrême droite populiste, au nationalisme exacerbé, se caractérise par un culte du leader autoritaire, un repli culturel suscité par la crainte du « grand remplacement », une vision pessimiste de l’économie ouverte. Le sentiment de déclin, de déclassement imminent, s’accompagne de la peur de l’effondrement d’une civilisation (chrétienne en Europe). En réponse, on promeut la préférence nationale, le conservatisme moral, le repli frontalier contre le prétendu laxisme pénal des élites, une politique répressive radicale et raciste.
Le populisme de la gauche radicale en Europe s’illustre avec Syriza, en Grèce, Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, LFI en France. Celui-ci se caractérise, pour les leaders du moins, par la priorité des questions économiques et sociales, en particulier la réduction des inégalités. Il admet une forte régulation économique voire une économie mixte. À
l’inverse du camp opposé, celui-ci milite en faveur de l’intégration la plus large des immigrés ; position d’ailleurs plus marquée chez les dirigeants que parmi leurs électeurs, plus soucieux de la compétition économique et du déclassement. Le peuple du populisme de gauche est volontiers présenté comme inclusif, généreux, culturellement ouvert.
Ce qui ne se vérifie pas toujours en pratique. Il exprime une opposition viscérale au libéralisme mondialisé et s’oppose à l’intégration européenne qui serait celle des élites, contre le peuple. L’effarante présomption des populismes, dont seule l’apparence est généreuse, les conduit à forger le bien-être du peuple en excitant les passions délétères, les émotions radicales qui mènent à un désastre économique et au malheur politique des populations.
Déformation de la réalité sociale
Tous les populistes prônent le protectionnisme-souverainisme et se méfient du libre-échange. Et aux deux pôles, la dimension de la lutte des classes/des races s’estompe au bénéfice d’une dichotomie entre peuple et élites (nécessairement « corrompues ») ; les élites seraient d’ailleurs les seules gagnantes du gouvernement des grands partis traditionnels mondialistes. Enfin, la construction européenne représente pour ces deux extrêmes un repoussoir1. Bien qu’ils soient tous généreusement représentés au Parlement européen, en raison de son mode de scrutin proportionnel à un tour.
Les électeurs ont de « bonnes » raisons de croire au populisme, au sens de Raymond Boudon. Les adhérents développent des raisons et valeurs avec une rationalité limitée, faillible, de croire au projet populiste, au service illusoire de leur devenir. Ce qui renforce les biais cognitifs, le rejet de toute dissonance. Les débats sont remplacés par l’invective et l’anathème. Des attitudes ne pouvant conduire qu’aux extrêmes, à la guerre civile. Hélas, ceci est renforcé par un populisme télévisuel/numérique. Sur une période de 20 ans, la revue Plos One a analysé 23 millions de titres de 47 sources d’information populaires aux États-Unis. Les résultats montrent une augmentation de titres dénotant de la colère, de la peur, de la tristesse et du dégoût2. Les populismes supportent mal la contradiction, ils n’ont pas intérêt à la cohésion sociale et ils prospèrent sur l’anéantissement de l’esprit critique.
Pour aller plus loin
« L’Europe et les populismes : confluences et diversité », G. Ivaldi, A. Zaslove, Revue européenne des sciences sociales, 2015.
“Longitudinal Analysis of Sentiment and Emotion in News Media Headlines Using Automated Labelling with Transformer Language Models”, D. Rozado, R. Hughes, J. Halberstadt, Plos One, 2022.