Avec la révolution industrielle, l’organisation des sociétés et du monde du travail est totalement bouleversée. Le modèle d’organisation des métiers jusque-là dominant, celui des corporations, ne répond plus à l’affirmation d’un modèle capitaliste et libéral qui combine séparation du travail et du capital et mécanisation progressive. Le libéralisme économique s’affirme à la fin du XVIIIe siècle et conduit à la suppression progressive des corps intermédiaires et à l’interdiction de toute organisation s’interposant entre l’individu et la puissance publique : c’est le sens de la loi le Chapelier et du décret d’Allarde, en 1791, ou des Combinations Acts de 1799 au Royaume-Uni.
À cette volonté d’imposer une individualisation de la relation entre le travailleur et son patron, portée par des pouvoirs publics et un patronat méfiants à l’égard d’une classe laborieuse qu’ils voient comme dangereuse, s’oppose très vite une aspiration à créer des structures collectives. Les crises plongent les ouvriers sans ressources dans le dénuement, nourrissant violence et délinquance. Si le monde ouvrier est très divers, associant travailleurs très qualifiés et ruraux déracinés, les fortes concentrations de population et la misère urbaine qui accompagnent le développement de l’industrie manufacturière constituent un terreau favorable à l’émergence des organisations.
Les premières expressions collectives contournent la loi en prenant la forme de sociétés de secours mutuels sur le modèle anglais ; mais c’est rapidement la forme de syndicats de métiers qui s’impose. En Angleterre, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le Trade Union Congress (TUC) devient la première organisation syndicale de masse. En France, le développement des syndicats est facilité par la légalisation du droit de grève (1864) et la reconnaissance des syndicats (1884, avec la loi Waldeck-Rousseau) : la Confédération générale du travail (CGT) est créée en 1895. Aux États-Unis, l’American Federation of Labour (AFL) voit le jour en 1890 ; en Allemagne, l’Association libre des syndicats naît en 1897.
Les mêmes revendications partout
Au sein de la manufacture et de l’entreprise, les revendications sont globalement les mêmes dans le monde entier : augmentation des salaires, sécurité, diminution du temps de travail (le mot d’ordre fédérateur avant 1914 est la journée de huit heures). Les syndicats organisent les conflis : grèves violentes et brèves en France, grèves longues et dures en Angleterre ou aux États-Unis. S’ils attirent les travailleurs, c’est aussi parce qu’ils offrent des services dans des pays où le droit social est encore embryonnaire : leurs adhérents bénéficient des caisses de grèves et de secours mais aussi des facilités commerciales et culturelles offertes par les systèmes de coopératives qu’ils entretiennent.
Les syndicats sont aussi porteurs des aspirations politiques du monde ouvrier. À partir des années 1860, ils sont obligés de mettre au clair leurs relations avec les courants politiques. Leur montée en puissance est contemporaine de celle des partis socialistes et de l’anarchisme.
La création de l’Association internationale des travailleurs (1864) puis de la IIe Internationale en 1889 qui prétendent (sous le slogan « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ! ») fédérer les intérêts des ouvriers au-delà de leur nationalité est aussi une évolution importante. En Allemagne, les syndicats et le parti socialiste (SPD, fondé en 1875) travaillent ensemble et pratiquent la négociation, même s’ils sont officiellement révolutionnaires ; en Angleterre, le TUC est à l’origine de la création du Parti travailliste en 1906.
En France, la CGT répond à la création de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) en refusant l’inféodation au socialisme : bien plus influencée par les idées de Proudhon que par celles de Marx, elle proclame son indépendance à l’égard de tous les partis politiques. Hostile à tout compromis avec le patronat, la CGT souhaite le « grand soir » qui, après la grève générale, permettrait l’abolition du capitalisme et de la propriété privée.
Du Capitole à la roche Tarpéienne
La Première Guerre mondiale constitue une rupture majeure. En 1919, les travailleurs ralliés au catholicisme social fondent la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Cette organisation confessionnelle souhaite s’éloigner des conceptions matérialistes et révolutionnaires de la CGT. Dans le même temps, la victoire des bolchéviques en Russie donne beaucoup de force au marxisme et change la donne. Après le Congrès de Tours, la scission est consommée entre communistes et socialistes. Les communistes quittent la CGT pour fonder la CGT-Unitaire qui se veut le bras armé syndical du Parti communiste français (PCF) et du Komintern.
En 1936, la stratégie du Front populaire entraîne la réunification de la CGT, qui tire gloire et prestige des avancées sociales : congés payés, semaine de 40 heures et conventions collectives sont les grandes conquêtes de 1936. Entrée en clandestinité pendant la guerre, la CGT jouit d’un prestige immense à la Libération. Avec la CFTC, elle a fait partie du Conseil national de la résistance, dont le programme conduit aux grandes réformes de 1945, notamment la création de la Sécurité sociale. La CGT regroupe pratiquement tous les métiers : elle est le premier syndicat de fonctionnaires, d’ouvriers et même de cadres. En 1945, elle déclare plus de cinq millions d’adhérents. C’est le point culminant du syndicalisme français.
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