La récession due à la pandémie de Covid-19 a été jugulée par une panoplie de mesures en faveur des ménages et des entreprises, au prix d’un endettement sans précédent, aggravé aujourd’hui par une crise de l’approvisionnement énergétique.
Par ailleurs, le réchauffement climatique nécessite des transformations profondes de notre appareil productif et de nos infrastructures de transport. Où trouver les recettes budgétaires nécessaires ?
Une équipe d’économistes de l’Université Carlos III de Madrid suggère de s’inspirer des loteries espagnoles de Noël*. La première fut initiée par la province de Cadix, en 1812, dans le but de collecter des fonds pour les troupes combattant les armées de Napoléon. Les colonies espagnoles d’Amérique utilisèrent également des loteries comme sources de revenus complémentaires.
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La tradition des loteries de Noël perdure ainsi en Espagne depuis plus de deux siècles. La très grande majorité de la population y participe, ces loteries font partie de la culture du pays. Aujourd’hui, leurs recettes représentent 0,3 % des recettes publiques totales (0,1 % du PIB national).
Différences géographiques
Pour les participants, les gains sont appréciables. Le plus gros gagnant, connu sous le nom d’El Gordo (Le Gros), reçoit 20 000 euros par euro joué et un ticket standard coûte 20 euros. Les deux gagnants suivants reçoivent 6 250 euros et 2 500 euros par euro joué.
Dans les points de vente, un carnet de tickets se compose de tickets ayant tous le même numéro. Comme les carnets sont en général vendus en totalité, un numéro gagnant dans une province va concerner de nombreux habitants de celle-ci.
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Les gagnants se trouvent ainsi regroupés géographiquement et, par conséquent, les revenus générés par les loteries varient très sensiblement d’une province à l’autre. Cette hétérogénéité permet d’identifier les effets économiques des loteries de Noël en comparant les provinces qui gagnent « beaucoup » avec celles qui gagnent « peu ».
Choc de hasard
L’étude met en évidence que ces effets sont loin d’être négligeables. La figure 1 montre que dans une province où un gagnant empoche en moyenne 1 000 euros, le taux de chômage baisse pendant environ 25 mois après le tirage. Cette baisse atteint un maximum de 0,3 point de pourcentage un peu plus d’un an après le tirage.
La figure 2 montre que l’indice des prix à la consommation dans une province gagnante suit les mêmes mouvements que le taux de chômage, ce qui confirme le regain de l’activité économique après un « choc » de loterie.

Davantage de consommateurs
L’étude exploite aussi une enquête qui interroge chaque mois un échantillon représentatif de ménages sur leur niveau de confiance ainsi que sur leurs intentions de consommation. Dans une province « gagnante », il apparaît que le niveau de confiance des habitants s’améliorent, que ces derniers fassent ou non partie des lauréats de la loterie.
Les ménages dans leur ensemble deviennent plus optimistes et révisent à la hausse leurs prévisions sur l’évolution de l’économie. Les gains d’une loterie dans une province accroissent la confiance de l’ensemble des habitants de cette province, ce qui agit positivement sur leurs dépenses. On constate effectivement qu’en moyenne, les ménages des provinces « gagnantes » augmentent leur consommation de biens courants et durables.
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Il n’y a donc pas que les lauréats de la loterie qui consomment plus. Ce mécanisme est analogue à celui que l’on voit à l’œuvre dans la période d’euphorie qui suit la victoire de l’équipe d’un pays dans une grande compétition sportive.
Une majorité de… perdants
On ne peut toutefois exclure que les effets de la loterie de Noël sur l’ensemble de l’économie espagnole soient finalement négatifs, car la plupart des individus ne gagnent pas. Au plan national, la loterie s’apparente donc à une taxe susceptible de réduire le niveau d’activité.
Ce n’est pas ce que constatent les auteurs de l’étude. La loterie de Noël fait partie des traditions et les Espagnols considèrent les dépenses de loterie comme des dépenses habituelles de fin d’année et non comme une taxe supplémentaire quand ils ont perdu. Les auteurs mettent en évidence que la loterie de Noël ne modifie pas la tendance de long terme des habitudes de consommation dans une province, que cette dernière soit gagnante ou pas.
Tous ces résultats suggèrent que les loteries sont des outils intéressants à la fois pour l’augmentation des ressources budgétaires et la relance de la consommation. À l’image du Loto, véritable élément du patrimoine national, pourquoi ne pas imaginer un Loto dédié à la diminution de la dette publique ?
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* « The Spanish Christmas Lottery as an unconventional fiscal policy tool », Morteza Ghomi, Isabel Micó-Millán, Evi Pa pa, VOX CEPR Policy Portal 28 mai 2022.