En 1945, la CGT compte plus de 5,6 millions d’adhérents. Elle jouit d’un grand prestige pour sa participation à la Résistance et sa contribution (en compagnie de la CFTC) à l’élaboration du programme économique et social du Conseil national de la résistance (CNR) et aux grandes réformes conduites par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), entre 1945 et 1947.
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Ces deux syndicats sont au cœur du paritarisme, ils assurent, avec les employeurs, le fonctionnement de la Sécurité sociale. La création des comités d’entreprise (1946) renforce la présence (essentiellement dans les grandes entreprises) des délégués du personnel. Les cadres, qui souhaitent une représentation autonome, fondent la Confédération générale des cadres (CGC) en 1944. Le monde agricole est lui aussi concerné par le grand mouvement de syndicalisation avec, en 1946, la formation de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Enfin, les organisations patronales se regroupent au sein du Conseil national du patronat français (CNPF), fondé en 1945.
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Très vite, cependant, les nuages s’accumulent avec la guerre froide et les guerres coloniales, provoquant un éclatement du paysage syndical sur fond de grèves quasi insurrectionnelles. En 1948, les non-communistes quittent une CGT devenue le bras armé syndical du Parti communiste français (PCF) et engagée massivement dans des causes qui vont au-delà de la défense des travailleurs (anti-américanisme, anticolonialisme, soutien indéfectible à l’URSS) pour fonder la GGT-FO (plus connue sous le nom de Force ouvrière). Si l’on ajoute à cela la CFTC et la Confédération nationale du travail (CNT) d’obédience anarchiste, le paysage syndical français apparaît singulièrement éclaté dès les années 50, pour un taux de syndicalisation global d’environ 20 %.
Mai 68, puis le déclin
La CFTC connaît aussi un fort tangage parce que de plus en plus de jeunes souhaitent la déconfessionnalisation. En 1964, ils fondent la Confédération française démocratique du travail (CFDT), qui se veut en phase avec les préoccupations du monde moderne : elle réclame l’autogestion, s’engage dans les débats sur les conditions de travail et critique tant le fordisme du patronat que l’ouvriérisme de la CGT. Sur le terrain se manifeste aussi un refus du gaullisme et de ses volontés d’associer le capital et le travail dans le cadre de la « participation ». Cette opposition se traduit par les grandes grèves de mineurs de 1963, qui débordent ensuite sur les transports.
Le syndicalisme n’a pas toujours de réponse appropriée aux mutations engendrées par la forte croissance des Trente Glorieuses : l’augmentation du niveau de vie, la moyennisation, l’urbanisation, la tertiarisation, le début de la féminisation et, globalement, le rajeunissement de la population remettent en cause les formes traditionnelles de revendications. Mai 1968 révèle ces tensions : chez les jeunes, la CFDT fait plus recette que la vieille CGT. Les accords de Grenelle marquent l’apogée du syndicalisme en France : le SMIG est revalorisé de 35 %, tous les autres salaires de 10 % et la création de sections syndicales d’entreprises est actée.
Désillusions et dotations publiques
Il s’agit pourtant d’une sorte de chant du cygne. En effet, à partir des années 1970, les syndicats français connaissent des difficultés sans précédent. Après la crise pétrolière de 1973, les restructurations industrielles amputent des branches fortement syndiquées comme les mines, la sidérurgie et les constructions navales.
D’offensives, les luttes syndicales deviennent défensives : il ne s’agit plus de conquérir des droits, mais de défendre des acquis. La victoire de la gauche, en 1981, n’y change pas grand-chose. Certes, les lois Auroux de 1982 renforcent le droit syndical dans l’entreprise et débouchent sur la réduction du temps de travail (39 heures) et la cinquième semaine de congés payés, mais dès 1983, le tournant de la rigueur change la donne et débouche sur la crise du syndicalisme. L’institutionnalisation des syndicats les coupe peu à peu de leur base, entraînant une professionnalisation des délégués. Leurs ressources dépendent de plus en plus des employeurs et des dotations publiques (les cotisations représentent moins de 5 % des ressources financières).
Les transformations de la main-d’œuvre et la politisation forte des organisations syndicales en détournent les travailleurs. Les taux de syndicalisation s’effondrent et passent en dessous de 10 %, malgré l’apparition de nouveaux venus comme Solidaires unitaires et démocratiques (SUD), la Fédération syndicale unitaire (FSU) ou l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). Quelques bastions demeurent, comme la fonction publique ou les grandes entreprises publiques (EDF, SNCF…).
Les syndicats sont souvent à la remorque de nouvelles formes d’expressions revendicatives comme les nouveaux mouvements sociaux, plus focalisés sur des thèmes sociétaux ou des mouvements spontanés comme les « gilets jaunes ». En réalité, les syndicats ne reviennent sur le devant de la scène qu’à l’occasion de conflits majeurs comme ceux des retraites, tant en 1995 qu’aujourd’hui. Mais ils restent divisés et c’est le dialogue social qui en pâtit.
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