L’Inquisition espagnole a perduré pendant plus de 350 ans. Elle pourchassait avec une cruauté inouïe toutes les déviances supposées à la stricte orthodoxie catholique, dont elle se voulait la seule garante. Ses tribunaux n’avaient pas besoin de mener des enquêtes très fouillées.
Les dénonciations émanant des notables, des voisins, des rivaux en tous genres et même des membres d’une même famille, fournissaient continûment leur lot de coupables potentiels. La société espagnole vivait dans un régime de méfiance généralisée.
Il était dans l’intérêt de chacun de limiter au maximum ses interactions avec les autres et de se cantonner à un cercle d’amis sûrs, si possible pas trop riches et éloignés des affaires et du commerce.
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Trois économistes ont voulu mesurer l’impact qu’a pu avoir cette longue période de persécutions religieuses sur l’Espagne d’aujourd’hui. Pour cela, ils ont construit une base de données couvrant toute la période de l’Inquisition en épluchant les comptes rendus des tribunaux. Leurs observations rassemblent ainsi 67 000 accusés ayant fait l’objet d’un procès.
L’Inquisition espagnole a perduré pendant plus de 350 ans. Elle pourchassait avec une cruauté inouïe toutes les déviances supposées à la stricte orthodoxie catholique, dont elle se voulait la seule garante. Ses tribunaux n’avaient pas besoin de mener des enquêtes très fouillées.
Les dénonciations émanant des notables, des voisins, des rivaux en tous genres et même des membres d’une même famille, fournissaient continûment leur lot de coupables potentiels. La société espagnole vivait dans un régime de méfiance généralisée.
Il était dans l’intérêt de chacun de limiter au maximum ses interactions avec les autres et de se cantonner à un cercle d’amis sûrs, si possible pas trop riches et éloignés des affaires et du commerce.
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Trois économistes ont voulu mesurer l’impact qu’a pu avoir cette longue période de persécutions religieuses sur l’Espagne d’aujourd’hui. Pour cela, ils ont construit une base de données couvrant toute la période de l’Inquisition en épluchant les comptes rendus des tribunaux. Leurs observations rassemblent ainsi 67 000 accusés ayant fait l’objet d’un procès.
À partir de ces données, les auteurs ont pu définir, pour chaque municipalité, un indicateur de « l’intensité » de l’Inquisition par le nombre d’années pendant lesquelles cette municipalité a connu au moins un procès pendant toute la période d’existence de cette institution – de 1478 à 1834.
L’éclairage nocturne, facteur de richesse
L’étape suivante a consisté à relier l’intensité de l’Inquisition dans une municipalité au niveau actuel du PIB de cette municipalité. Mais les statistiques espagnoles fournissent des mesures fiables des PIB locaux uniquement pour les municipalités de plus de 1 000 habitants, soit seulement 25 % de toutes les municipalités.
PIB
Le produit intérieur brut (PIB) est défini comme étant la somme des valeurs ajoutées réalisées à l'intérieur d'un pays par l'ensemble des acteurs (plus la TVA et les droits de douane), pour un an, indépendamment de la nationalité des entreprises qui s'y trouvent. En résumé, c’est la richesse produite dans un pays en un an. Son taux de croissance est la mesure phare de la santé économique d’un pays.
Pour les 75 % de communes restantes, les auteurs ont eu l’idée astucieuse d’utiliser leur niveau d’éclairage nocturne, car il a été établi par les économistes du développement que l’éclairage nocturne d’une aire géographique reflète assez fidèlement sa richesse.
De fait, on constate une très forte corrélation, dans l’Espagne d’aujourd’hui, entre le niveau de l’éclairage nocturne d’une municipalité de plus de 1 000 habitants et son PIB par tête. En faisant l’hypothèse naturelle que cette corrélation est identique pour les communes de moins de 1 000 habitants, les auteurs peuvent alors estimer le PIB par tête de ces dernières à partir de l’importance de leur éclairage nocturne.
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Les rapports auxquels on aboutit entre l’intensité de l’Inquisition dans une municipalité et son PIB par tête nous apprennent qu’une zone où l’Inquisition a été la plus forte (au moins un procès trois années sur quatre consécutives) accuse aujourd’hui – donc près de 200 ans après la fin de l’Inquisition – un déficit du PIB par tête d’environ 8 % par rapport à une zone où celle-ci fut statistiquement inactive.
Mais s’agit-il vraiment d’un lien de causalité ? On ne peut exclure que les zones les plus touchées par l’Inquisition étaient au départ les plus pauvres. Ce n’est pas le cas. Les auteurs constatent au contraire que l’Inquisition a toujours été plus active dans les zones les plus riches… car cela lui permettait de se financer.

Moins d’éducation et de confiance
Il reste à expliciter les canaux par lesquels l’Inquisition influence encore aujourd’hui les performances économiques des zones où elle fut la plus active alors qu’elle y est absente depuis plus de deux siècles.
L’examen des caractéristiques régionales fournit une explication plausible en faisant apparaître que les zones où l’Inquisition fut la plus virulente sont aujourd’hui des zones où le niveau d’éducation et le niveau de confiance sont plus faibles qu’ailleurs.
Or un des consensus émanant des études sur la croissance est précisément que l’éducation et la confiance sont deux ingrédients prépondérants pour expliquer les écarts de performances économiques.
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L’inquisition n’avait pas besoin d’individus éduqués, elle avait besoin d’individus soumis au dogme. L’intérêt à s’éduquer devint faible et celui à afficher sa religiosité devint fort. Par ailleurs, en incitant à la dénonciation des hérétiques, l’Inquisition a diffusé un climat de défiance généralisée préjudiciable à la vie des affaires.
Ces mécanismes ont été à l’œuvre pendant plus de 350 ans et les régions où ils furent les plus prégnants se sont sous-éduquées et plus repliées sur elles-mêmes. L’Espagne en paye le prix aujourd’hui.
Un État dans l’État financé par les amendes
L’Inquisition fut mise en place en 1478 et cessa de fonctionner en 1834. Son but était d’éradiquer toutes les formes d’hérésie. Elle pourchassait ainsi les adeptes de la sorcellerie, les « sodomites », les blasphémateurs, les lecteurs de livres interdits, mais surtout les soi-disant catholiques soupçonnés d’être en réalité des juifs, des musulmans ou des protestants dissimulant leur véritable religion.
L’Inquisition espagnole était un État dans l’État, soumise au seul pouvoir du roi et indépendante de la hiérarchie ecclésiastique. Elle a torturé et condamné des dizaines de milliers de personnes. Ses procès se concluaient par des exécutions publiques spectaculaires (le plus souvent des bûchers) ou, pour les délits jugés mineurs, par des peines d’emprisonnement plus ou moins longues.
Elle se finançait principalement par les amendes qu’elle infligeait et les biens qu’elle confisquait.