Si vous utilisez des réseaux sociaux, vous avez certainement été exposé(e) à quelques-unes des théories du complot qui y circulent. Ainsi avez-vous probablement déjà lu que les attentats du 11 septembre 2001 ne seraient pas le fait d’un groupe terroriste islamiste, mais celui du gouvernement américain, qui les aurait organisés pour justifier l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak.
Autre exemple : les traînées blanches que les avions de ligne laissent dans leur sillage ne seraient pas de la condensation, comme les scientifiques l’affirment, mais des chemtrails – produits (bio) chimiques épandus dans le but de provoquer des modifications climatiques ou de permettre le contrôle à distance de l’esprit des individus.
Ces théories du complot reposent uniquement sur des conjectures. Cela n’empêche pas une part non négligeable des Français d’y apporter un certain crédit1.
Le tournant de Strasbourg
Le mouvement des Gilets jaunes a été accusé, par certains de ses opposants, de constituer un foyer de complotisme. De fait, ce mouvement a été traversé par toutes sortes de théories du complot.
Dès le mois de novembre dernier, les pages Facebook des Gilets jaunes colportaient ainsi des idées infondées concernant le pacte de Marrakech que le gouvernement s’apprêtait à signer, affirmant qu’il organisait secrètement la perte de la souveraineté de la France en matière d’immigration.
Plus récemment, l’idée toute aussi infondée selon laquelle le traité d’Aix-la-Chapelle autoriserait la vente de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne rencontra un certain succès sur ces mêmes réseaux.
En réalité, le lien entre ce mouvement et le complotisme a commencé à devenir clair à l’occasion de l’attentat de Strasbourg du 11 décembre 2018. De nombreux Gilets jaunes ont affirmé ou laissé entendre que cette attaque avait été commanditée par le gouvernement français pour détourner l’attention de leur mouvement.
Du sionisme aux vaccins
S’il ne fait donc pas de doute que la mythologie du complot est présente chez les Gilets jaunes, la question est de savoir si elle s’y trouve au même niveau que dans le reste de la population, ou si elle constitue une caractéristique de ce mouvement. Un récent sondage de l’Ifop sur un panel représentatif de 1 760 personnes permet de répondre.
Cet institut, en lien avec l’observatoire Conspiracywatch2, sonde chaque année les Français sur leur adhésion à diverses théories du complot. Cette année, plusieurs questions concernant les Gilets jaunes ont été intégrées au sondage. Il en ressort que 16,3 % des Français interrogés se disent Gilets jaunes, 52,4 % sympathisants, sans en être pour autant, et 31,3 % ne se sentent pas appartenir à ce mouvement.
Concernant le lien entre complotisme et Gilets jaunes, il apparaît que ces derniers se déclarent nettement plus en accord que le reste des Français avec chacune des 11 théories du complot testées dans le sondage. Ils sont, par exemple, 20 % à se déclarer « tout à fait d’accord » avec l’affirmation qu’« il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale », contre 5,6 % des sympathisants des Gilets jaunes et 3,1 % des personnes extérieures au mouvement.
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De même, 34,4 % des Gilets jaunes, contre 17,2 % de leurs sympathisants et 6,4 % des non-Gilets jaunes, adhèrent « tout à fait » à la thèse selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins ».
Les Gilets jaunes endossent chacune des autres théories du complot testées (attentats du 11 septembre, de Strasbourg, chemtrails, etc.) dans des proportions de deux à six fois supérieures au reste de la population. Le sondage nous apprend encore que le mouvement est très suivi parmi les ouvriers, les employés et les agriculteurs.
Par ailleurs, on y observe une surreprésentation d’électeurs d’extrême droite (28,8 %) ainsi qu’une forte présence d’électeurs d’extrême gauche (15,7 %) et de Français ne s’étant prononcés pour aucun candidat au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 (26,9 %).
En réalisant une analyse statistique plus approfondie des données brutes de ce sondage3, il apparaît que le profil sociologique des Gilets jaunes ne permet pas d’expliquer le haut degré de conspirationnisme observé au sein du mouvement.
Le fait d’être un Gilet jaune augmente en effet nettement la probabilité d’adhérer à des théories du complot, indépendamment de la catégorie professionnelle, du niveau d’études, de l’âge, du positionnement politique et de la religion des sondés.
Le conspirationnisme est ainsi une composante idéologique non négligeable de ce mouvement. Il se peut également que certaines personnes qui n’étaient pas spécialement complotistes au moment d’adhérer au mouvement des Gilets jaunes le soient devenues après avoir été exposées aux nombreuses théories du complot qui y circulent.
Sortir du piège
Étant donné les caractéristiques inédites du mouvement, difficile de savoir si les thèmes complotistes y trouveront un débouché politique. Le piège serait, pour les Gilets jaunes, que ces programmes soient élaborés sur la base d’une vision complotiste du monde. Cela risquerait en effet de nuire à la crédibilité des revendications légitimes qui émanent de ce mouvement populaire.