Savons-nous penser la guerre économique ?

C’est une réalité, mais les économistes ont du mal à la concevoir. Les « agents économiques » qui peuplent leurs modèles sont surtout des individus. Les intérêts qui les animent ne sont pas ceux des nations.
Ces modèles considèrent principalement l’État au plan domestique, imposant des taxes, des règles, menant des politiques économiques. Mais tout cela reste pacifique. Les relations entre les pays, quant à elles, sont surtout envisagées à travers les échanges commerciaux, dans l’univers apaisé du « doux commerce » de Montesquieu.
À la confrontation guerrière aurait succédé une forme plus douce : la compétition. Ainsi est conçue la mondialisation, à partir des années 1980 : on signe des accords, on échange des biens et des services et, en cas de différend, on s’en remet à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Bien des signes pourtant nous rappellent que derrière cette vision adoucie des échanges, tout un monde de rapports de force et de gestes belliqueux ressemble furieusement à la guerre. Spécialiste de politique internationale, Ali Laïdi lit ainsi certains jeux économiques comme des conflits entre nations.
Il ne s’en tient pas aux « guerres commerciales » (celle de Trump avec la Chine), mais pointe une large palette de stratégies : mise à mort d’entreprises, mise au pas d’une chaîne de valeur, espionnage et vols de propriété intellectuelle. Des actes qui sont parfois une version dure de la compétition entre firmes, mais révèlent aussi, derrière les acteurs privés, une confrontation entre des puissances visant à atteindre une « suprématie ».
L’œuvre de Michel Foucault aide à penser ces jeux en révélant, au sein du monde « civil », les logiques de pouvoir qui travaillent le savoir, le social, l’intime, le biologique – et l’économique. « La guerre économique ne se limite pas à un conflit marchand. C’est une lutte politique dont l’économie est le vecteur. » Une vision acide et éclairante de la mondialisation aujourd’hui.
Les Batailles du commerce mondial, Ali Laïdi, PUF, 2021. 176 p., 18 €.
De l’impôt sur la barbe à la taxe carbone

Saviez-vous que le modèle de la taxe sur le CO2 est une taxe sur les… barbes, imaginée en Russie en 1698 ? L’histoire de la fiscalité fourmille d’innovations et de voies sans issue.
Les plus anciennes taxes portaient sur les étrangers ou les produits importés, dans un monde où la fonction du prince était d’abord la guerre et où la taxe était assimilée à une forme de pillage. L’impôt a fini par trouver sa légitimité et son efficacité. Michael Keen (FMI) et Joel Slemrod (Université du Michigan) nous racontent où et comment.
Rebellion, Rascals, and Revenue. Tax Follies and Wisdom through the Ages, Michael Keen et Joel Slemrod, Princeton University Press, 2021. 536 p., 27 €.
« Helicopter money », le retour

C’est à Milton Friedman (1912-2006, prix Nobel 1976), l’un des pères de la théorie monétaire moderne, que l’on doit cette notion revenue en grâce avec la crise du Covid-19. La « monnaie hélicoptère », c’est une injection d’argent frais dans l’économie sous forme de transferts directs aux individus.
Ainsi le gouvernement fédéral a-t-il envoyé ce printemps un chèque de 1 400 dollars à tous les ménages américains. Geste bienvenu dans un pays aux amortisseurs sociaux très faibles et qui peut contribuer à un redémarrage rapide de l’économie. Mais ses effets sur l’inflation inquiètent. Et que penser quand, en parallèle, on se met à discuter de l’annulation de la dette des États ? Ce petit ouvrage très bien informé fait le point sur les débats.
L’Hélicoptère monétaire. Au-delà du mythe, Florin Bilbiie, Alaïs Martin-Baillon, Gilles Saint-Paul, Rue d’Ulm, 2021. 120 p., 10 €.
L’économie « Teranga »

« L’économie, ce ne sont que des relations », dit l’économiste sénégalais Felwine Sarr dans ce dialogue avec Gaël Giraud, chef économiste de l’Agence française de développement. Mais en cherchant systématiquement à les quantifier et à les optimiser, nous avons dégradé la qualité de ces relations.
L’économie de demain devra apprendre à les penser autrement. Comment ? La Teranga sénégalaise développe l’idée de « faire de la relation un objet de soin » : c’est dans ce soin que résiderait la valeur. Un pas de côté pour réfléchir à la notion d’échange, ce thème archidébattu – et finalement peu pensé – en économie.
L’Économie à venir, Gaël Giraud et Felwine Sarr, LLL, 2021, 208 p., 16 €.