Sociologie

Covid-19 : une pandémie de théories du complot

Les théories conspirationnistes qui fleurissent autour du coronavirus ont pour objectif implicite de visualiser une menace inconnue et de donner aux crédules le sentiment de pouvoir agir.

Laurent Cordonier, Docteur en Sciences Sociales, Université de Paris
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© pixabay

La crise sanitaire du Covid-19 s’accompagne d’une autre épidémie : celle des fake news, des rumeurs et des théories du complot liées à la maladie. Si le confinement ralentit la progression de l’épidémie virale, il ne peut rien contre la déferlante de fausses informations. Ces dernières nous atteignent en effet directement dans nos foyers, portées par Internet et les réseaux sociaux. L’observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch a produit une carte indiquant le lieu de naissance de quelques-unes des théories du complot les plus folles sur le Covid-19. Il suffit d’y jeter un œil pour constater que l’épidémie conspirationniste est mondiale.

Parmi ces théories du complot, certaines affirment que le Covid-19 n’existe tout simplement pas. Les gouvernements du monde entier se seraient secrètement mis d’accord pour faire croire à son existence, afin de rendre acceptable aux yeux des populations l’adoption de mesures réduisant les libertés individuelles.

D’autres théories du complot soutiennent que le Covid-19 aurait été créé en laboratoire ou que gouvernements et industrie pharmaceutique nous cacheraient l’efficacité de médicaments peu coûteux, dans le but de commercialiser au prix fort un vaccin préparé d’avance.

Mettre un visage sur la menace

La flambée conspirationniste qui accompagne la pandémie du Covid-19 n’est pas une surprise. En effet, toutes les épidémies passées (peste, Zika, Ebola,…) ont donné lieu à un cortège de rumeurs sur leurs origines soi-disant intentionnelles et malveillantes.

Cela s’explique en partie par le fait que les épidémies causent une très grande inquiétude au sein de la population. À l’angoisse de la maladie s’ajoute un sentiment d’impuissance.
Laurent Cordonier

Docteur en Sciences Sociales, Université de Paris

Que faire face à cette menace invisible ? Cet état psychologique, mêlant inquiétude et sentiment d’impuissance, est réputé favoriser la croyance aux théories du complot (1). En effet, ces théories permettent de mettre un visage sur la menace : celui des individus malveillants qui seraient responsables de la situation. Elles donnent également l’illusion de pouvoir agir pour parer au danger. Par exemple en refusant de suivre les recommandations du gouvernement, que l’on soupçonne de vouloir encourager l’épidémie. On comprend donc que certaines théories du complot puissent se révéler dangereuses en temps d’épidémie.

Le précédent Zika

C’est ce que l’on a pu constater avec l’épidémie du virus Zika (2015-2016) au Brésil. Transmis par un moustique, il peut provoquer des malformations du fœtus lorsqu’il infecte des femmes enceintes. Une théorie du complot est rapidement apparue : ces malformations ne seraient pas causées par le virus, mais dues à un insecticide mélangé à de l’eau pour limiter, justement, la prolifération des moustiques. Les autorités et la compagnie produisant l’insecticide en question auraient inventé l’histoire d’un virus causant des malformations fœtales pour masquer ce scandale sanitaire.

Ces personnes [moins disposées que les autres à prendre des mesures pour se protéger des piqûres de moustiques] devenaient ainsi elles-mêmes des relais involontaires du virus Zika, qui a alors pu continuer à se diffuser au Brésil.
Laurent Cordonier

Docteur en Sciences Sociales, Université de Paris

On pense aujourd’hui que cette théorie du complot a probablement eu pour conséquence d’aggraver l’épidémie de Zika au Brésil. En effet, les personnes qui y croyaient étaient moins disposées que les autres à prendre des mesures pour se protéger des piqûres de moustiques, puisque, à leurs yeux, le danger ne venait pas des insectes (2). Ces personnes devenaient ainsi elles-mêmes des relais involontaires du virus, qui a alors pu continuer à se diffuser dans le pays.

Confiance quasi-aveugle

Si certaines théories du complot peuvent avoir de graves conséquences durant une épidémie, il est difficile de lutter contre leur propagation. Communiquer des informations correctes à la population ne suffit pas toujours à faire reculer ces croyances dangereuses (3). La menace épidémique étant invisible, il faut faire une confiance quasi-aveugle aux autorités pour adopter les mesures qu’elles préconisent. Un tel niveau de confiance est évidemment difficile à atteindre si la population a l’impression – à tort ou à raison – que ses autorités sont peu compétentes, voire corrompues. En France, plus de transparence dans les processus de gestion de crise permettrait peut-être aux autorités de regagner un peu de la nécessaire confiance du public.

Le coup de l’accident de laboratoire

Un sondage passé fin mars 2020 auprès d’un panel représentatif de la population indique que 26 % des Français dit croire que le virus du Covid-19 est un virus fabriqué en laboratoire. Plus précisément, pour 9 % de nos concitoyens, ce virus aurait été créé accidentellement dans un laboratoire, alors que 17 % des Français pensent qu’il a été fabriqué intentionnellement (sondage Ifop 2020, « L’origine perçue du Covid19 »). Selon la Fondation Jean Jaurès, qui a commandé le sondage, cette théorie du complot séduirait particulièrement l’électorat d’extrême-droite.

Notes

  1. Voir par exemple “The Influence of Control on Belief in Conspiracy Theories”, VanProoijen et Acker, Applied Cognitive Psychology, 29 (5), 2015
  2. “The effects of corrective information about disease epidemics and outbreaks : Evidence from Zika and yellow fever in Brazil”, Carey et alii Science Advances, 6 (5), 2020
  3. Carey et alii, 2020
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