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Crash Test : Jean-François Melon et le bitcoin
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Crash Test : Jean-François Melon et le bitcoin
Désormais décorrélée de la valeur de son support, la monnaie a subi dans l'histoire plusieurs crises de confiance. L'Etat doit jouer un rôle important de régulateur dans cette relation entre les agents économiques, selon Jean-François Melon, économiste du XVIIIe siècle. 300 ans plus tard, sa théorie se vérifie-t-elle toujours ? C'est la question que se pose Martial Poirson, dans ce numéro de Crash test.
Martial PoirsonUne pièce, dont le métal a une valeur physique, est-elle plus fiable que le très abstrait bitcoin ? La monnaie a connu de nombreux chamboulements en plusieurs siècles, remettant en cause la confiance que les agents économiques plaçaient en elle.
Au XVIIIe siècle, Jean-François Melon avait théorisé sur cette relation à l'argent. L'économiste plaçait l'Etat, comme institution centralisatrice et régulatrice, au centre de ce marché.
Martial Poirson se demande si, trois siècles plus tard, sa pensée est toujours d'actualité.
Pour le savoir, regardez notre vidéo.
Jean-François Melon : Quelle confiance en la monnaie ?
Lettres de change, billets de banque, chèques, cartes bleues, se sont alors succédé depuis le début du xviiie siècle, contribuant à la dématérialisation progressive de la monnaie, ainsi qu’au renforcement de la dimension conventionnelle de la valeur nominale attribuée à la monnaie. Telles est l’évolution prophétisée par JF Melon, économiste, romancier et homme politique, de la monnaie fiduciaire (de fiducia, la confiance), observateur de la naissance de la finance avec le système des assignats de John Law en 1716, pour faire face à la pénurie de monnaie métallique et au développement du commerce international.
Troisième phase de développement des échanges marchands
Prenant le pas sur le troc de marchandises, puis sur l’échange de denrées au moyen d’une monnaie métallique dont la valeur est équivalente à la quantité de métaux précieux utilisée pour la produire, la monnaie fiduciaire marque la troisième phase de développement des échanges marchands. À la fois réserve de valeur et instrument de mesure des transactions, elle permet un essor considérable du volume et de l’ampleur des échanges.
Cependant, une telle monnaie fiduciaire repose entièrement sur la confiance des agents économiques envers le système, dans la mesure où la valeur nominale n’est plus indexée sur la valeur intrinsèque du support monétaire, comme pour les monnaies métalliques, et n’est plus le reflet direct de la richesse produite ou le stock d’or disponible.
Quelles conséquences sur l'inflation ?
Par conséquent, cette création monétaire risque fort d’entrainer l’inflation, voire une crise de confiance contagieuse sur les marchés, si aucune garantie ne lui est apportée, raison pour laquelle Melon insiste sur l’importance de l’Etat, envisagé comme institution centralisatrice et régulatrice, en tant que garant en dernier ressort de l’équilibre et de la stabilité du système financier, servant par son autorité de caution à la création monétaire.
Aujourd’hui, une nouvelle étape est franchie avec l’apparition des monnaies numériques : crypto-monnaies, cyber-monnaies, blockchains, bitcoins... L’apparition de ces monnaies totalement virtuelles et dématérialisées s’opère dans un contexte de raréfaction de l’argent liquide et des espèces en circulation observée dans la plupart des pays développés depuis les années 2015. Elle parachève le mouvement de désindexation entre la valeur reconnue à la monnaie et la valeur intrinsèque de son support.
L'heure de la monnaie dérégulée
Les premières émissions de cybermonnaies remontent à 1989, lorsque l’entreprise DigiCash, fondée par David Chaum, crée la première monnaie virtuelle à partir d’un protocole de paiement en ligne entièrement anonyme. En 1998, l’entreprise déclare faillite, faute d’adoption massive de sa monnaie. Elle sera pourtant suivie de nombreuses initiatives de cypermonnaies depuis une vingtaine d’années, notamment Bitcoin, créée en 2009 par un groupe de développeurs utilisant le pseudonyme Satoshi Nakamoto.
Emise de gré à gré, sans intervention de banque centrale, au moyen d’un réseau informatique décentralisé, d’un principe de chiffrement confidentiel de la monnaie émise informatiquement et de protocoles de preuves de travail, elle repose sur la cryptographie, autrement di l’utilisation de clefs ou de secrets garantissant confidentialité, authenticité et intégrité). Elle associe l’usager aux processus d’émission et de règlement des transactions et l’intégrant à une communauté reconnaissant la valeur de ladite monnaie.
La création monétaire s’opère par « minage », schéma algorithmique destiné à reproduire la découverte de l’or et des métaux précieux qui préside à la valeur de la monnaie métallique. Elle fédère une communauté participant à la génération de « blocs » de valeur, dont l’appréciation ou la dépréciation se mesure à l’aune du volume de transactions qu’ils génèrent.
En France, ces monnaies numériques sont reconnues par les pouvoirs publics depuis le 1er janvier 2019 et entrent dans la catégorie des actifs numériques dont le régime fiscal est défini par la direction générale des finances publiques.
Quels dangers ?
De nombreuses initiatives d’agents économiques visent cependant à contrarier ce qu’ils considèrent comme une récupération par le système financier dominant de ces initiatives alternatives et hors marché.
En l’absence d’organisme central de régulation de monnaies virtuelles qui dans une large mesure s’inventent en marge des institutions monétaires traditionnelles (Etat, banques centrales), on peut donc légitimement s’interroger sur les nouveaux modes de régulation et de gouvernance d’un système dans une large mesure auto-engendré, mais aussi sur les risques de récupération par des acteurs privés de ces initiatives citoyennes.