« Tout le monde a du bon sens. […] Dans l’ensemble, les gens savent bien qu’il faudra travailler un peu plus longtemps en moyenne […] », expliquait Emmanuel Macron, président de la République, le 21 février dernier, en visitant le marché de Rungis, alors qu’il argumentait en faveur de la réforme des retraites.
En fait, le chef de l’État est très loin d’être le premier ou le seul responsable politique à en appeler au bon sens. Ce dernier est invoqué d’un bout à l’autre du spectre politique, de Marine Le Pen, députée du Rassemblement national, à Fabien Roussel, secrétaire général du Parti communiste. Et pourquoi pas, en effet ?
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« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », disait Descartes. Un autre philosophe, Henri Bergson, voyait en lui une forme de souplesse d’esprit permettant de s’adapter à la réalité, un pragmatisme qui pouvait être partagé avec tous.
« Je n'avais pas compris que le bon sens c'était de lui laisser le pouvoir absolu. » Dessin d'Érik Tartrais.
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Mais attention, dans le discours politique, c’est un piège : présenter la solution de son camp comme étant « de bon sens », c’est tenter de la faire passer pour une évidence indiscutable. Pour l’adversaire, il devient alors impossible de la contester sans se voir taxé de mauvaise foi, analyse Cécile Alduy, sémiologue, auteure de Ce qu’ils disent vraiment. Les politiques pris aux mots (Seuil, 2017).
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Un « symptôme » du populisme
Politiquement, le recours à cet argument masque une référence à une pensée précise : il s’agit d’un « symptôme » du populisme, analyse Pascal Perrineau dans Le Populisme (PUF, 2021). D’après le politologue, en effet, l’idéologie populiste considère la société comme divisée en deux groupes homogènes et antagonistes.
D’une part, les élites économiques, politiques et intellectuelles sont par définition corrompues ou dévoyées et porteuses d’un discours « sachant » ou « technique ». D’autre part, le peuple, honnête et sain est détenteur du bon sens et donc de la vérité. Or, rappelle Pascal Perrineau, le populisme travaille à « redonner le pouvoir au peuple, car celui-ci a toujours raison ».
Légitimité populaire
Se référer au bon sens peut alors légitimer une contestation des institutions. Exemple : le poujadisme, terreau du futur Front national. Dans les années 1950, Pierre Poujade, modeste commerçant avait lancé un mouvement de rébellion contre les impôts. Il opposait le « bon sens des petites gens » à la mauvaise foi des élites…
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Pour certains hommes ou femmes politiques, l’argument du bon sens peut simplement refléter une tentative de se défaire d’une image élitiste. À l’extrême, rappelons que la voie du bon sens a parfois mené très loin : jusqu’à la dictature, vue comme la rencontre d’un homme et de la vérité d’un peuple. « Mussolini a sempre ragione » (Mussolini a toujours raison), fut l’un des mots d’ordre du régime fasciste en Italie…