Nous disposons tous d’un réseau plus ou moins fourni d’amis et de connaissances. Chacun d’eux possède par ailleurs son propre réseau social, qui recouvre en partie le nôtre – autrement dit, nous avons probablement des connaissances en commun avec nos amis.
Cependant, il est aussi des connaissances de nos amis que nous ne connaissons pas, et toutes les personnes que nous connaissons ne se connaissent pas nécessairement entre elles. Le réseau social de chaque personne est donc unique.
Si l’on représentait sur une carte tous les habitants d’un pays par un point correspondant à leur domicile, puis que l’on traçait des lignes entre les personnes qui se connaissent, on observerait que le réseau obtenu forme une sorte de toile d’araignée dont les individus constituent les nœuds.
Il apparaîtrait également que cette toile inclut tous les habitants du pays, même si les personnes les moins intégrées socialement n’y sont rattachées que par quelques fils. Avec cette image en tête, on comprend que n’importe quel individu, au sein d’une société, est relié à tous les autres.
La connexion entre deux individus A et B pris au hasard peut être directe : A et B se connaissent, ils sont amis ou collègues. Elle peut aussi être indirecte : A et B ne se connaissent pas, mais A est une connaissance de C, qui est lui-même ami avec B. Dans un tel cas de figure, A et B sont connectés avec un degré de séparation.
La distance entre deux individus peut évidemment être plus grande encore. Une situation dans laquelle A connaît C, qui connaît D, qui connaît B, correspond à deux degrés de séparation entre A et B, et ainsi de suite. Alors, quelle est la distance moyenne entre vous et n’importe quelle autre personne prise au hasard ?
Six degrés de séparation
C’est à cette question que Stanley Milgram et Jeffrey Travers, psychologues sociaux à l’université de Harvard, ont essayé de répondre à la fin des années 19601. Pour y parvenir, ils ont mis sur pied un ingénieux dispositif expérimental.
Ils ont demandé à 217 Américains de faire parvenir, chacun de leur côté, un document à un concitoyen qu’ils ne connaissaient pas. Les psychologues ont indiqué aux participants le nom, l’adresse et la profession de cet inconnu, ainsi qu’un certain nombre d’autres caractéristiques le concernant.
Les participants n’avaient bien entendu pas le droit de lui envoyer directement le document. En effet, chaque participant n’était autorisé à le transmettre qu’à un membre de son propre réseau (il choisissait librement auquel d’entre eux il le remettait).
Toute personne qui recevait le document était à son tour soumise à la même contrainte. Autrement dit, le document ne pouvait voyager vers son objectif que de connaissance en connaissance.
Chaque personne qui le recevait devait donc imaginer quel membre de son réseau social était le plus susceptible de connaître le destinataire ou, du moins, le plus à même de connaître quelqu’un qui connaîtrait éventuellement le destinataire final.
Lorsque le document parvenait enfin à un individu directement relié au destinataire final, il le remettait à ce dernier : l’objectif était atteint. Sur les 217 chaînes de transmission initiées en parallèle par les chercheurs, 64 seulement ont atteint leur but. Les autres se sont brisées en cours de route (généralement en raison du manque d’intérêt de l’un des maillons pour l’expérience).
Les résultats n’en sont pas moins intéressants : il n’a fallu en moyenne que 5,2 intermédiaires pour faire parvenir le document à son destinataire. Autrement dit, deux Américains pris au hasard sur une population de 200 millions (à la fin des années 1960) seraient en moyenne distants de cinq ou six degrés seulement !
Un effet Facebook ?
Un résultat très proche a été obtenu au début des années 2000 avec un bien plus grand nombre de participants et en incluant des destinataires d’autres pays que le leur2. Depuis, le développement des réseaux sociaux sur Internet semble avoir encore réduit la distance séparant les individus.
Ainsi, les utilisateurs de Facebook seraient en moyenne séparés les uns des autres par 3,5 degrés environ3. Il ne faudrait pourtant pas confondre une telle interconnexion avec une réelle proximité psychologique ou sociale.
Comme le relevait Milgram4, je peux n’être distant que de six intermédiaires du président des ÉtatsUnis, il n’en reste pas moins inaccessible et d’un point de vue social, tout peut nous séparer.
En réalité, l’ami d’un ami, déjà, peut se situer aux antipodes de mon univers social. Notre proximité dans la toile des interconnaissances globales cache alors une distance sociale bien réelle (voir encadré).
De même, cette forte interconnexion ne protège en rien de la solitude que peuvent ressentir certaines personnes pourtant bien dotées en amis virtuels.