Magazine complet à retrouver en ligne.
Oui, la comparaison aide à mieux réfléchir
Charles Dennery est chercheur en économie. Il a obtenu son doctorat à la London School of Economics en 2018, après être passé par l’École normale supérieure et l’Université de Cambridge. Ses domaines de recherche sont la macroéconomie, l’économie monétaire, et l’économie internationale. Il collabore régulièrement aux Échos et à Telos.

On a tout intérêt à s’inspirer des autres pays, ne serait-ce que pour pouvoir faire des recommandations. Les politiques économiques ne peuvent pas toujours se réduire à des raisonnements déductifs : elles doivent s’appuyer sur des expériences, des réalités observées.
D’où le rôle des comparaisons entre pays. Derrière la diversité des modèles nationaux, il y a des convergences qui permettent d’identifier les bonnes pratiques.
Toute la question est de tirer les bonnes leçons de ces expériences, sans se tromper de diagnostic.
Parfois, les facteurs du succès ne sont pas ceux que l’on croit : les plus visibles ne sont pas toujours les plus déterminants. Par exemple, dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’autonomie des universités est souvent donnée comme un gage de réussite.
Mais l’autonomie de gestion budgétaire est en général combinée avec des moyens importants et une réelle souplesse dans l’utilisation des fonds.
Même quand on sait dans quel sens on veut réformer, la comparaison internationale peut aider dans la façon de mettre en œuvre la réforme. Faut-il une thérapie de choc ou, au contraire, une approche incrémentale ?
Le retour d’expérience des réformes chez nos voisins peut nous aider à voir quelles ont été les difficultés et les façons d’y remédier.
La question change alors de dimension : est-il encore possible aujourd’hui de mener en France des réformes systémiques, comme l’ont fait les pays nordiques ou le Canada dans les années 1980-1990 ?
Pour mener leurs grandes réformes fiscales ou dans le domaine du marché du travail, ces pays ont pu s’appuyer sur un dialogue social performant. La maturité de l’économie ou des institutions sociales les rend plus difficiles à réformer.
Ce n’est pas la même chose de tenter une réforme des retraites quand celles-ci ne représentent encore que quelques points du PIB, comme c’était le cas en Suède en 1994, et quand elles en représentent 14 %, comme en France.
Par ailleurs, les réformes sont plus faciles quand elles concernent des systèmes unifiés que quand elles remettent en cause des systèmes complexes avec de multiples strates et cas particuliers, comme celui de la France avec l’assurance vieillesse ou le système de soins.
Pourtant, la force des comparaisons internationales reste de nous permettre de comprendre les défauts d’un système et d’ouvrir des pistes pour le réformer.
En matière fiscale, il est apparu peu à peu que les pays ayant opté pour le prélèvement à la source s’en trouvaient bien et que le choix opposé pouvait devenir un désavantage compétitif. Les bonnes idées font leur chemin : la TVA inventée en France s’est diffusée dans plus de 150 pays ! Il existe dans le monde un certain nombre de bonnes pratiques et des pays pionniers font figure de modèles.
Observer attentivement ce que font les autres permet aussi de mieux réfléchir.
De comprendre ce qui, dans nos particularités, relève d’enjeux culturels, de préférences durables. Ou au contraire, ce qui ne serait que retard ou posture artificielle, que l’on peut corriger.
S’inspirer des autres pays n’implique pas une imitation à l’aveugle, mais bien plutôt une réflexion sur ce qu’il faut garder absolument et ce qu’il faut changer impérativement. C’est une façon de mieux comprendre ce qui nous distingue.
Non, l’imitation est déceptive, il faut innover
Étienne Wasmer est spécialisé dans l’économie du travail, la théorie de la prospection d’emploi, l’économie urbaine et le capital humain. Il a reçu, en 2006, le Prix du meilleur jeune économiste décerné par le journal Le Monde et le Le Cercle des économistes. Il est professeur d’économie au campus d’Abou Dabi de la New York University. Il a auparavant été enseignant en microéconomie à Sciences Po Paris. Dernier ouvrage paru : Le Grand Retour de la terre dans les patrimoines. Et pourquoi c’est une bonne nouvelle !, avec Alain Trannoy (Odile Jacob, 2022).
Dans des domaines comme le libre-échange ou l’enseignement supérieur, on peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs.
Mais en ce qui concerne le marché du travail, ce n’est pas forcément le cas. Les systèmes de protection sociale sont complexes et complémentaires : toucher un aspect pour « imiter les autres », sans logique d’ensemble, peut être dommageable.
Il n’existe pas « un » bon modèle, mais plutôt des propriétés différentes, plus ou moins performantes selon les situations.
Pendant la pandémie, le chômage partiel imité de l’Allemagne a protégé les emplois. Mais il a aussi ralenti les réallocations d’emploi et augmenté la dette. Certains employeurs se plaignent de ce choc sur les aspirations au travail de leurs salariés. Il faudra en faire le bilan.
D’un pays à l’autre, il existe de grandes différences dans les réalités du tissu industriel, territorial et urbain.
La France n’a pas autant de PME que l’Allemagne, elle n’a pas la taille du Danemark ni la densité des Pays Bas. Ces pays ont réussi leurs réformes du marché du travail, mais celles-ci ne sont pas directement transposables : la géographie, la structure de l’appareil productif ou les tensions sur le marché du logement contraignent davantage la mobilité des travailleurs en France.
Plus largement, certaines solutions à vocation universelle – comme les sanctions appliquées aux demandeurs d’emploi s’ils refusent deux offres – peuvent se révéler de fausses pistes.
Ces politiques fonctionneront bien dans un pays, mais pas du tout dans un autre. Ce que nous dit l’économie, c’est qu’il vaut mieux permettre à la responsabilité individuelle de s’exprimer.
Plutôt que des sanctions administrées par des agents trop durs, trop laxistes ou forcés par leur hiérarchie à faire du chiffre, il vaudrait mieux renforcer la dégressivité des allocations : à chacun de faire ses choix de refus ou d’acceptation des offres.
Idem pour la mobilité géographique : en aidant les jeunes à se loger dans les grandes villes, en facilitant l’obtention du permis de conduire, on augmente leur espace de choix.
Il faut donc se méfier des transpositions des modèles in abstracto. Cela n’empêche pas de mener des réformes.
Celles qui ont été conduites depuis 2014 ne sont pas un grand soir : elles ont procédé à des ajustements significatifs, mais en continuité avec ce qui existait. Et les résultats sont là, avec un solde net de plus de 1,4 million d’emplois salariés supplémentaires dans le privé, soit une augmentation de 7,5 %.
Pour résumer, je crois dans la rationalité des politiques sociales au moment où elles sont mises en place.
Par exemple, le financement de notre modèle social sur la production et les salaires avait du sens dans les Trente Glorieuses, quand cette base fiscale était solide.
Mais depuis plusieurs décennies, elle est en érosion constante. À l’inverse, la valeur du foncier est en expansion considérable. C’est là qu’il faut reprendre le chantier des réformes, en réduisant les charges pesant sur le travail et la production et en taxant plus et mieux la richesse terre qui représente plus de trois fois le PIB. Imiter est rarement une stratégie gagnante. Ayons l’audace d’innover !