Sociologie

Déviance. Comment les attentats du 11 septembre 2001 ont popularisé le complotisme

Les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis sont les plus documentés du monde. Mais, dans une société de la communication numérique, cet événement a aussi ouvert la voie à la multiplication des discours complotistes qui quittent les franges déviantes de la société pour se diffuser plus largement.

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Illustration de l'article Déviance. Comment les attentats du 11 septembre 2001 ont popularisé le complotisme

© Brendan McDermid / REUTERS

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À 8 h 14, ce 11 septembre 2001, l’histoire a basculé. Dans le ciel américain, 4 avions sont successivement détournés par 19 terroristes, peu après leur décollage. Deux des appareils s’écrasent dans les tours du World Trade Center, un troisième sur le Pentagone et le quatrième en Pennsylvanie après une révolte des passagers. Près de 3 000 personnes perdront la vie dans ces attentats et les images des crashs sont diffusées sur les chaînes de télévision du monde entier.

Ce lundi 11 septembre 2023 marquait donc le 22e anniversaire de ces attentats, les plus meurtriers survenus sur le sol américain. D’ailleurs, vendredi 8 septembre, deux nouvelles victimes des attentats ont été identifiées, deux décennies après l’événement. Il reste près de 1 100 personnes à identifier.

Cette annonce symbolise le travail de recherche et de documentation qui continue d’être mené autour de ces attentats. Dès les premiers mois après les attaques, le déroulé des événements est connu avec précision. Rapidement, la responsabilité de l’organisation terroriste islamiste Al-Qaida dans ces attaques est prouvée. Et ce, grâce aux nombreux documents vidéos et témoignages et au travail d’enquête des autorités américaines.

Mais cet événement invraisemblable et ses conclusions ne convainquent pas tout le monde. Se diffusent alors massivement des discours conspirationnistes ou complotistes qui étaient jusque-là réservés à des franges marginales de la société.

Pour aller plus loin > Même le 11 septembre 2001 n’a pas arrêté la démocratisation du transport aérien

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C’est ce que rappelle le site spécialisé dans l’information sur le complotisme ou conspirationnisme, Conspiracy Watch. Selon le site, fondé par Rudy Reichstadt, le conspirationnisme se définit comme « l’attitude consistant à remettre en cause abusivement l’explication communément admise de certains phénomènes sociaux ou événements marquants au profit d’un récit explicatif alternatif qui postule l’existence d’une conspiration et dénonce les individus ou les groupes qui y auraient pris part ».

Le terme entre dans le dictionnaire français seulement en 2012, prouvant la présence croissante du phénomène dans l’ensemble de la société. Mais il n’est absolument pas nouveau : les termes de théorie du complot sont attestés dès le début du XXe siècle, et dans son ouvrage La rumeur d'Orléans publié en 1969, le sociologue Edgar Morin offre une analyse sociologique d'un on-dit devenu véritable peur collective en France dans les années 1960 affirmant que des jeunes femmes étaient enlevées dans les cabines d'essayage des magasins de prêt-à-porter juifs de la ville d'Orléans pour ensuite être prostituées de force. Le phénomène complotiste prend cependant une nouvelle dimension après le 11 septembre.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette expansion. Tout d’abord l’ampleur de l’événement et le choc invraisemblable qu’il provoque. Il alimente l’actualité et ses débats pendant un très long moment. Enfin, les nouveaux canaux numériques, comme YouTube, offrent une tribune sans entraves aux promoteurs des discours conspirationnistes, souvent aidés par des algorithmes qui favorisent artificiellement la visibilité de leurs contenus.

Il y a également la narration séduisante que proposent ces discours conspirationnistes. Des vidéos comme “Loose change” proposent des narratifs dignes des blockbusters américains. Et cela fait mouche, des personnalités (Kassovitz, Cotillard, Bigard…) ont même pu reprendre à un moment de leur vie ces discours-là, ouvrant grand la porte à leur légitimation.

Aujourd’hui, presque chaque événement est sujet à des contre-propositions conspirationnistes qui touchent un large public grâce à des canaux de diffusion variés et accessibles sur les réseaux sociaux.

Des personnalités comme le chanteur Francis Lalanne, par exemple, sont représentatifs des discours déviants que sont les discours complotistes. Autrefois chanteur populaire, il est devenu l’un des premiers relais de théories a minima contestées et au pire complètement farfelues, notamment à propos de la pandémie de Covid-19.

Pour aller plus loin > Complotisme : quels sont les facteurs de risque ?

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La déviance est généralement définie comme un comportement non conforme aux normes sociales d’une époque et d’un groupe social donnés. Pour qu’il y ait déviance il faut que trois éléments soient réunis : l’existence d’une norme, un comportement de transgression de cette norme et un processus d'étiquetage et de stigmatisation des individus qui adoptent ces comportements.

Les discours complotistes liés au 11 septembre 2001 rentrent dans cette définition. Il existe une norme : les enquêtes des autorités américaines majoritairement disponibles et très exhaustivement documentées. Il existe un comportement de transgression : la mise en doute de ce discours officiel.

On constate également une forme d'étiquetage, défini par le sociologue américain récemment décédé Howard Becker (1928-2023) comme un processus en trois étapes : d'abord une trangression de la norme, en portant des discours complotistes ; ensuite un étiquetage par le reste de la société, qui identifie ce comportement comme déviant et pose une étiquette sur l'individu considéré déviant ; enfin une entrée dans ce que le sociologue appelle "la carrière déviante", c'est-à-dire un repli de l'individu vers des groupes sociaux qui partagent ses valeurs, ce qui va avoir pour effet de le couper de plus en plus du reste de la société.

Il existe enfin une stigmatisation de ces discours transgressifs puisqu’ils sont toujours considérés, à raison, comme décalés vis-à-vis de la réalité. Le processus de stigmatisation a été mis en évidence par le sociologue américain Erving Goffman (1922-1982) et se défini comme le processus de mise à l'écart par la société d'un individu lorsqu'il présente trop de différences (physiques et/ou sociales) avec le reste de la société. En effet, ces discours sont souvent marqués par un extrémisme caractéristique d’idéologies très marginales dans la société (racisme, antisémitisme, fascisme, nazisme etc.).

Le conspirationnisme coupe aussi les partisans de ces théories de leurs relations sociales traditionnelles : familiales, amicales, professionnelles… Une situation qui entretient le cercle vicieux du conspirationnisme.

En se coupant des liens sociaux traditionnels, les complotistes en recréent avec… d’autres complotistes et alimentent ainsi leurs propres croyances : ne pas croire aux attentats du 11 septembre peut ainsi mener à soutenir que la terre est plate, que des reptiliens nous contrôlent ou que les vaccins contre le Covid-19 sont les armes d’un génocide organisé.

Pour aller plus loin > Naît-on avec un sens de la morale ?

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Citation_fiche_rudy_reichstadt.png« Après s’être largement développé entre 2002 et le début des années 2010, le complotisme portant sur le 11-Septembre semble avoir reflué dans l’opinion. D’abord, on sait mieux aujourd’hui ce qui s’est passé précisément qu’on ne le savait il y a vingt ans. Ensuite, le travail de contre-enquête, sur l’événement lui-même et sur les théories du complot qui l’accompagne, a été fait. Enfin, de nombreuses autres attaques terroristes ont été perpétrées, en France ou dans d’autres pays, et il est devenu de plus en plus compliqué pour les complotistes de convaincre que tout cela n’avait pas de réalité, que le djihadisme n’est qu’un épouvantail. »

Rudy Reichstadt

Directeur de l’Observatoire du conspirationnisme, dans Ouest-France

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