Après une période de stagnation, l'inflation fait son grand retour. « Il fallait s’y attendre, ça allait bien arriver à un moment donné. On retourne dans un monde d’avant, qu’on avait presque oublié », commente Lise Patureau, professeure d’économie à l’Université Paris-Dauphine.
Selon les chiffres de l’Insee, les prix avaient augmenté de 2,1 % entre septembre 2020 et septembre 2021. La consommation de biens des ménages avait, elle, augmenté de 1 %. Ces chiffres ont de quoi attirer l’attention, après la longue période de faible inflation que le pays a connue depuis la crise financière de 2008.
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Cela peut faire peur puisque « quand on parle d’inflation, on parle d’une diminution du pouvoir d’achat », précise Christine Sinapi, professeure en économie à la Burgundy School of Business.
Pour être exact, l’inflation est calculée à part des prix d’achat d’un panier de biens et de services de la vie courante auxquels ne sont pas intégrés les prix de l’immobilier et du logement.
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Une relativement « bonne » nouvelle ?
« La déflation est bien plus préoccupante que l’inflation, car c’est signe que la crise s’accélère avec la suppression d’emplois », explique la professeure Christine Sinapi.
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Actuellement, ce sont les pays européens les plus en crise qui subissent la déflation. La France et l’Allemagne en pleine reprise affichent des taux d’inflation mensuels, calculés par rapport au mois précédent, à presque 2 % et 4 % alors que la Grèce est à la peine avec une déflation mensuelle de 0,13 % annoncée au mois d’août.
Les pays pris dans une spirale déflationniste voient leurs entreprises être contraintes de réduire leurs marges.
Spirale déflationniste
On parle de spirale déflationniste quand un cercle vicieux maintient l’économie dans une période de déflation. La baisse des prix engendre une réduction des marges des entreprises; qui baissent alors les salaires. Le pouvoir d’achat des ménages diminue et la consommation recul. Face à ce choc de demande négatif, les prix continuent de diminuer.
Cela occasionne à la fois de nombreuses faillites, mais aussi une compression de la demande : les consommateurs anticipent une diminution toujours plus importante des prix et retardent donc leurs achats.
« La peur des boucles inflationnistes date de l’après-choc pétrolier. Elle était alors à l’origine de la stagnation et de la récession », rappelle Christine Sinapi. Mais, depuis les années 1970, des mesures ont été prises pour éviter que le pays ne bascule à nouveau dans une spirale inflationniste incontrôlable.
Depuis 1983, les salaires ne sont plus indexés sur l’inflation en France. C’est-à-dire que l’augmentation des prix n’entraîne plus une augmentation immédiate des salaires (à l’exception du SMIC).
Bien sûr, les syndicats continuent de négocier les rémunérations des salariés à la hausse, surtout quand les prix de la consommation augmentent, mais le phénomène s’étire sur le plus long terme.
« Il faudra être attentif au déroulement des négociations salariales, mais on reste loin d’un spectre d’inflation à 10 % », estime Lire Patureau.
« Durant les Trente Glorieuses, l’inflation s’élevait à 4 % environ, aujourd’hui plusieurs économistes recommandent une inflation d’au moins 2 % », poursuit Christine Sinapi.

On l’oublie parfois, mais l’inflation peut avoir de nombreuses vertus pour les pays, à condition qu’elle ne devienne pas incontrôlable. Elle joue notamment sur le poids de la dette puisque la valeur de la monnaie augmente et avec elle la valeur du PIB. Le ratio dette/PIB s’en trouve alors diminué. La réduction de la dette pourrait même être une aubaine pour la France et les pays européens qui ont dû beaucoup dépenser pendant la crise sanitaire.
Des années de quantitative easing sans inflation
La BCE mène depuis plusieurs années une politique de création monétaire dite non conventionnelle via des mécanismes de quantitative easing, sans que cela n'ait jusqu'à présent créé d’inflation. Au contraire, les taux d’intérêt sont restés nuls toutes ces années.
« La sortie de cette politique des taux 0 reste une question épineuse pour la BCE. Elle aura un impact direct sur les taux auxquels les banques vont emprunter mais aussi sur le prix de la dette publique qui va diminuer », explique Lise Patureau de l’Université Paris-Dauphine.
Si l’inflation se rapproche des 2 %, la BCE risque de se retrouver à un arbitrage classique entre inflation et chômage. Elle devra probablement mener une politique monétaire qui l’amènerait à prioriser davantage l’inflation.
Enfin, la prise en compte de l’augmentation générale des prix n’est pas forcément synonyme d’une augmentation des prix dans tous les secteurs.
« Cette vision est trop restrictive, les phénomènes monétaires de ces dernières années ont bien induit des mécanismes inflationnistes… mais sur les marchés financiers, affirme Christine Sinapi. De plus, les prix des produits manufacturés ou alimentaires sont, eux, en train de ralentir, ce qui n’est pas un signe de bonne santé économique. »
Le prix de l’énergie, la vraie préoccupation des économistes
La hausse globale des prix est actuellement fortement entraînée par la hausse exponentielle du prix de l’énergie. « Pendant la pandémie, l’Europe du Nord a arrêté sa production de gaz. Dans le même temps, la Russie a annoncé un retard de production. Le monde s’est donc retrouvé avec une plus forte demande que d’offre de gaz. Les prix ont alors explosé », souligne la chercheuse.
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On parle donc d’inflation importée, c’est-à-dire induite par une hausse générale des prix des produits importés, ici le gaz.
Inflation
On parle d’inflation importée quand la hausse générale des prix est le résultat de l’augmentation des coûts des produits importés, souvent à cause d’une baisse du taux de change.
« L’augmentation des prix de l’énergie va mécaniquement faire augmenter les prix des produits manufacturés », explique Lise Patureau. Les entreprises vont répercuter ce supplément de coût sur les prix pour pouvoir continuer à couvrir leurs marges.
« Ce phénomène reste sans doute conjoncturel, peu d’économistes anticipent que l’augmentation de l’électricité et du gaz va persister », poursuit la chercheuse.
La flambée des prix de l’énergie est un sujet politique qui inquiète les décideurs publics en France, « à juste raison, considère-t-elle. Si les prix de l’énergie augmentent régulièrement, l’augmentation va se généraliser à l’ensemble des prix. »
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Il n’en est pas moins que la crise écologique pose la question de la sortie de cette énergie et des modalités économiques basées sur l’énergie. « Notre modèle économique énergivore pas soutenable. Des vraies réponses pour la planète, les emplois et l’économie », juge Christine Sinapi.
Et de s'inquiéter : « Finalement, c’est plus la flambée des prix de l’énergie que l’inflation elle-même qui est inquiétante. »
Il fallait s’y attendre à ce retour de l'inflation, ça allait bien arriver à un moment donné. On retourne dans un monde d’avant, qu’on avait presque oublié.
Lise Patureau,Professeure d’économie à l’Université Paris-Dauphine