Débat entre étudiants animés par Gérard Péhaut, professeur de chaire supérieure au lycée Voltaire d’Orléans. Ce débat est un exercice rhétorique et ne représente pas nécessairement les opinions des participants et participantes.
Non, la gauche s’est fondue dans le libéralisme
Christ-Vie Mpululu et Yuri Venus, étudiants en 1re année de CPGE ECG au lycée Voltaire d’Orléans
Si l’économie de gauche peut être définie comme voulant le bien-être collectif alors que celle de droite rechercherait l’efficacité par l’initiative individuelle, ce clivage semble n’avoir guère de sens aujourd’hui.
Les points de vue se sont rapprochés : plus personne n’affirme que la seule « main invisible du marché » suffit à assurer l’équilibre et il n’y a plus guère que l’extrême gauche pour souhaiter l’instauration du communisme et la fin du marché.
C’est le tournant de la rigueur de 1983 qui a changé la donne. En acceptant les mécanismes du marché, en cessant les nationalisations et en acceptant l’intégration économique européenne, la gauche de gouvernement s’est fondue dans une conception libérale.
Libéralisme économique
Chacun est libre, responsable de ses actions et de sa propre existence, et le seul juge de son bien-être. Nul ne peut décider pour lui de ce qui lui est utile ou essentiel. Chacun est capable de choisir ses activités selon son intérêt et ses aptitudes dans le cadre légal garanti et jouit du droit de disposer des résultats de son travail.
La campagne pour le « oui » au référendum de ratification du traité de Maastricht, en 1992, unissait d’ailleurs largement centre droit et centre gauche. Depuis, la gauche au pouvoir n’a jamais voulu changer de cap : l’euro et le grand marché européen n’ont jamais été remis en question.
En 2012, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a été ratifié conjointement par les députés de gauche et de droite à l’Assemblée nationale. Si la gauche a supprimé, en 2012, les aides aux entreprises mises en œuvre par la droite après 2007, elle les a rétablies en instaurant le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) quelques mois plus tard.
Aujourd’hui, il n’y a guère de différences entre les programmes économiques des candidats à l’élection présidentielle.
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Centre droite et centre gauche se rejoignent sur les grands principes, même si les candidats de gauche insistent davantage sur la transition écologique. Cela semble d’ailleurs donner raison à Emmanuel Macron, qui voulait dépasser le clivage droite/gauche en 2017.
Autre signe essentiel : plus aucun grand candidat ne demande à sortir de l’euro. En fait, ce n’est plus sur l’opposition entre liberté et régulation publique que persistent les divergences, seulement sur leur dosage : par exemple, on ne discute pas les aides sociales mais leurs modalités.
Quelques dates
1983 - Tournant de la rigueur
La gauche, au pouvoir depuis 1981, renonce à la rupture avec le capitalisme et décide de laisser agir les mécanismes de marché.
1992 - Traité de Maastricht
Les grands partis de gouvernement s’accordent sur l’intégration européenne, la monnaie unique et la concurrence libre et non faussée
Mais si, ce clivage reste bien présent sur les questions sociales !
Constantin Douy et Jules Pelé, étudiants en 1re année de CPGE ECG au lycée Voltaire d’Orléans
Malgré tout ce que l’on en dit, le clivage droite/gauche n’est pas caduc, particulièrement en France.
La gauche radicale française, de Lutte ouvrière à La France insoumise, cumule entre 15 et 18 % des intentions de vote en proposant clairement une rupture avec le libéralisme, une remise en cause de la mondialisation et du fonctionnement de l’Union européenne.
Les Français eux-mêmes placent en tête de leurs préoccupations le pouvoir d’achat, la protection sociale et la lutte contre les inégalités, qui sont traditionnellement des thèmes de gauche.
Les candidats de gauche sont ceux qui vont le plus loin dans leurs promesses de revalorisation du SMIC et des prestations sociales. De même, la gauche, cherche à instaurer un débat sur une nouvelle réduction du temps de travail avec la « semaine de quatre jours », quand les candidats de droite veulent revenir sur les 35 heures.
La droite, globalement, cherche à mettre en œuvre une plus grande flexibilité du marché du travail, inciter au retour au travail en accentuant la dégressivité des allocations chômage quand la gauche reste dans une logique de maintien de protection.
En réalité, le clivage subsiste surtout pour les questions qui sont au carrefour entre l’économique et le social. La gauche reste fidèle à ses ambitions de justice sociale et de réduction des inégalités.
Accentuer la pression fiscale sur les plus riches, rétablir complètement l’impôt sur la fortune, alourdir les droits de succession et diminuer le poids de la TVA sont des propositions qui font l’unanimité de la gauche, y compris de la moins radicale.
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Un courant de pensée économique, incarné, en particulier par Thomas Piketty, fournit des arguments à ces propositions. Ainsi, Yannick Jadot et Anne Hidalgo souhaitent financer la transition écologique via un impôt climatique sur la fortune.
La gauche souhaite aussi extraire le logement de la « logique de marché » : de nombreuses villes de gauche ou écologistes ont mis en place des systèmes de plafonnement des loyers.
D’autres marqueurs forts subsistent : la droite souhaite réduire le nombre de fonctionnaires, ce qui n’est pas le cas à gauche. Par exemple, les communistes veulent créer nouveaux 500 000 postes quand les Républicains veulent en supprimer 150 000.
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La gauche souhaite ramener l’âge de la retraite à 60 ans quand la droite veut augmenter la durée de cotisation.
Enfin, pour la dette publique, la droite souhaite réaliser des économies pour la réduire quand la gauche cherche de nouvelles sources de financement par la taxation des plus aisés ou des facilités de paiement de la Banque centrale européenne.
Enfin, pour l’économie internationale, le clivage est grand entre les candidats pro-européens et ceux de droite ou de gauche radicale, ces derniers se défiant de l’Union Européenne et souhaitant relocaliser et favoriser l’indépendance nationale par le biais de la commande publique ou la taxation des multinationales.
Pour être honnête, il faut cependant reconnaître que les clivages traditionnels sont malgré tout un peu brouillés. Le programme économique et social du Rassemblement National reprend par exemple de nombreuses idées classées à gauche, comme la retraite à 60 ans.
Cela s’explique sans doute par le fait que ses bastions électoraux étaient autrefois marqués à gauche. Le vote populaire resterait donc marqué par ses aspirations historiques.