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Économistes : qui pense quoi sur l’héritage et l’impôt sur les successions

Assez rare pour être notifié, une réforme de l’impôt sur les successions fait consensus chez les économistes de tous bords. Ils s’accordent sur sa capacité à réduire les inégalités et stimuler l’entreprenariat. Mais les Français sont sceptiques.

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© Pixabay

370 000 euros, c’est ce que toucherait chaque Français, si les transmissions annuelles étaient redistribuées une fois aux plus de 18 ans. Mais dans l’état actuel de la fiscalité, la succession est plutôt vectrice d’inégalités.

Éco-mots

Succession

Si la succession correspond à la transmission du patrimoine laissé par une personne décédée à une personne vivante, elle peut aussi se préparer en amont via des dons ponctuels ou réguliers, et des legs.

L’héritage français s’est élevé à 280 milliards en 2019, soit 19 % du revenu disponible net des ménages, contre 8,5 % (60 milliards) en 1980. Cette explosion s’explique par le décès des baby boomers et d'autres facteurs économiques (appréciation de la valeur des actifs immobiliers et boursiers). Mais les franges de la population les plus privilégiées en profitent.

L’impôt sur les successions aujourd’hui

40 % des Français n’héritent pas. Une minorité (10 %) concentre la moitié (52 %) des richesses transmises. Entre ces deux catégories, 83 % des successions sont exonérées d’impôt.

Pour calculer les droits, l’administration prend en compte les donations du défunt reçues par l’héritier sur les quinze dernières années. La fiscalité actuelle est progressive.

Elle vise à limiter les inégalités en faisant payer un taux plus important pour des montants taxables plus élevés. Les taxes peuvent atteindre 45 % à 60 % de la transmission.

Mais il existe de nombreux dispositifs d’exonération. La transmission d’assurances-vie par exemple est exonérée jusqu’à 152 500 euros. Ce manque à gagner, couplé à l’exonération de la transmission d’entreprises, prive l’État de 2 à 2,5 milliards d’euros (20 % des recettes fiscales liées à la transmission).

Ces chiffres mettent en lumière une réalité : le descendant d’une famille française pauvre doit attendre six générations pour atteindre le revenu moyen, une génération de plus que la moyenne des pays riches de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Éco-mots

Mobilité sociale

Désigne la circulation des individus entre différentes positions de la hiérarchie sociale. S’il s’agit d’une société de castes, il n’y a pratiquement pas de mobilité sociale, chaque individu est assigné à une place définie, à sa naissance, par le groupe social de ses parents. S’il s’agit au contraire d’une société ouverte, le destin d’un individu n’est pas lié à son groupe social d’appartenance. Dès lors, la mobilité sociale est intimement liée à la question de l’égalité des chances et de la démocratisation du système scolaire.

Une réforme de l’impôt sur les successions fait relativement consensus chez les économistes libéraux ou non. Pour les uns, elle viserait à mieux redistribuer les richesses entre classes sociales et entre générations. Pour les autres, elle permettrait à chacun des héritiers d’exprimer ses talents (sous-entendu : l’héritage est un frein à l’esprit d’entreprendre).

Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer par exemple la taxation sur la succession aux impôts de type Impôt sur la fortune.
Emmanuel Macron,

à l’époque Ministre de l’Économie.

Cette divergence lui avait à l’époque valu sa prise de distance avec François Hollande. Depuis, Président, il a supprimé l’ISF en 2018, mais n’a pas touché à l’impôt sur les successions, une mesure réputée impopulaire. 87 % des Français sont réfractaires à une hausse de l'impôt sur les successions, selon une étude du Credoc menée en 2018.

Un chiffre surprenant au vu des faits alors même que "les individus qui ont peu de patrimoine ou peu de chances d'hériter ne sont pas plus favorables à un niveau élevé de taxation des transmissions" souligne l'étude. Des questions morale (le travail de toute une vie, la liberté de transmettre...) et le manque de lisibilité de l'impôt pourraient expliquer cette réticence générale à une hausse de l'imposition des succesions. 

Alors, quelles sont les différentes propositions des économistes sur le sujet ?

1. OCDE, une mesure nécessaire en temps de Covid

Pour faire face à crise de la Covid-19, les pays vont devoir générer des recettes supplémentaires et remédier aux inégalités, qui se sont creusées depuis le début de la pandémie”, suggère l’OCDE dans son rapport sur les successions publié cette année.

L’organisation de coopération et de développement économiques continue : “Il faut le faire pour réduire les inégalités de patrimoine. En moyenne, la fiscalité sur les successions rapporte de moins en moins.” La France est le troisième pays qui taxe le plus après la Belgique et la Corée du Sud.

L’impôt sur les successions rapporte 1,4 % des recettes fiscales, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 0,5 %, au niveau de l’Allemagne, 0,47 % pour les États-Unis. Treize des 37 pays de l’OCDE ne taxent pas les successions.

Selon l’organisation, il faudrait concentrer les impôts sur les transmissions les plus importantes : “Les héritages de faible valeur ont un effet égalisateur, c’est-à-dire qu’ils réduisent l’inégalité relative, ce qui justifie, d’un point de vue de l’équité, leur exonération.

2. France Stratégie, taxer selon l’âge

Le barème de l’impôt doit inciter à une redistribution plus forte du patrimoine vers les jeunes générations”, conseille de son côté l’organisme d’analyse étatique France Stratégie.

L’âge moyen de l’héritage se situe aujourd’hui après 60 ans, un moment de la vie où l’on a atteint un certain confort de vie. Hériter plus tôt permettrait de mieux s’installer dans la vie et d’éventuellement investir.

France Stratégie ajusterait tout de même le taux d’imposition selon le montant perçu : “La fiscalité des transmissions doit donc être moins élevée lorsque les sommes sont reçues par des individus jeunes, tout en taxant plus ceux qui reçoivent davantage.”

Avec une nouveauté : France Stratégie propose que l’imposition soit calculée sur les transmissions reçues. Aujourd’hui, le taux dépend de la transmission versée : si un héritier reçoit plusieurs héritages au cours de sa vie, d’un montant total de 300 000 euros, il ne paie pas d’impôt. En revanche, si un héritier reçoit 300 000 euros lors d’une seule transmission, il est taxé. France Stratégie propose un impôt progressif tenant compte des différentes perceptions.

Pour réduire les inégalités, le service rattaché au Premier Ministre va encore plus loin. Il encourage l’État à doubler les petites transmissions à des héritiers de moins de 40 ans, avec le principe d’un euro de transmission, un euro donné par l’État.

3. Tirole-Blanchard, une redistribution directe à la petite enfance

Le gouvernement a récemment commandé un rapport à un consortium d’économistes. Dirigé par le duo Jean Tirole - Olivier Blanchard, il mentionne quelques solutions pour améliorer l’impôt sur les successions, parmi lesquelles : relever l’abattement de 100 000 euros, éventuellement à 300 000 euros, pour “rendre la réforme fiscale plus populaire” et augmenter l’impôt pour les transmissions de plus de 1,9 million d’euros (aujourd’hui à 45 %, au-dessus de 1,8 million d’euros pour les héritiers directs).

Pour rendre la mesure plus efficace, il est proposé de déroger à une règle bien française : la constitution du pot commun avec toutes les recettes fiscales, sans attribution directe à une cause.

Stephanie Stancheva et Dani Rodrik, les deux économistes en charge du dossier “succession” au sein de cette commission, suggèrent de flécher directement les recettes de l’impôt sur les transmissions à la petite enfance ou à un “compte individuel” en faveur des jeunes des classes populaires.

4. Thomas Piketty, un capital universel pour chaque jeune actif

Entre 70 à 90 %, c’est la dernière tranche de l’impôt progressif proposé par Thomas Piketty, économiste, auteur du livre Capital et Idéologies. Il se base sur les pratiques du début du XXe siècle.

Selon lui, de tels montants ont permis à l’époque de réduire les inégalités sans faire fuir les grandes fortunes. Son impôt serait complété par un impôt annuel progressif sur la propriété, une sorte de réforme de la taxe foncière actuelle, qui ne tient aujourd’hui pas compte des revenus.

Ces recettes permettraient à l’État de doter tous les jeunes de 25 ans d’un capital de 120 000 euros, équivalent à 60 % du patrimoine moyen pour démarrer dans la vie (en plus d'un revenu de base).

La “dotation universelle” est aussi proposée par les économistes américains Bruce Ackerman et Anne Alstott à hauteur de 80 000 dollars pour chaque jeune adulte.

Ils n’hériteraient en revanche plus de leurs parents. L’idée sous-jacente : nous sommes tous héritiers, mais pas responsables de la pauvreté ou de la richesse de nos parents.

En résumé

Une proposition revient souvent : baser le mode de calcul de l’impôt sur la totalité de la perception, plutôt que sur la donation au coût par coût. Les économistes ne s’accordent en revanche pas sur le montant, ni sur la manière de redistribuer les recettes de l’impôt sur les successions.

Quant à la manière de séduire l'opinion, cela nécessite un effort pédagogique. Les politiques parviendront-ils à s'emparer du débat et convaincre les Français pendant la campagne électorale pour la présidentielle ?