Question : les fake news (fausses nouvelles), qualifiées parfois pudiquement de « faits alternatifs », influent-elles sur les intentions de vote ? Autre question : lorsque le fact checking (vérification des faits) dévoile un mensonge au grand jour, cela modifie-t-il ces mêmes intentions ?
Une expérience menée pendant la campagne présidentielle française de 2017 apporte de mauvaises nouvelles : oui, les fake news ont un effet substantiel sur les électeurs et non, le fact checking ne modifie pas leurs intentions de vote. Au contraire, il semble même les affermir.
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L’expérience s’appuie sur un échantillon de 2 480 personnes, représentatif des régions ayant fortement privilégié le vote pour le Rassemblement national lors des précédentes élections.
Un des volets de l’expérience porte sur une déclaration de la candidate de ce parti, Marine Le Pen, laissant entendre que 99 % des migrants vers l’Europe étaient des hommes seuls arrivant sans leur famille, ce qui « prouve » qu’ils sont guidés par des motifs purement économiques et non par la nécessité de fuir des zones de conflit ou une répression d’ordre politique.
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En réalité, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a recensé que, parmi les migrants ayant traversé la Méditerranée en 2015, 17 % étaient des femmes, 25 % des enfants et 58 % des hommes, ce qui contredit les chiffres de Marine Le Pen et donc, affaiblit la conclusion qu’elle en tire.
Corriger pour rien
Les 2 480 participants ont été répartis au hasard en quatre groupes de même taille, mais soumis à des informations différentes.
- Le groupe 1 (fake news) est simplement informé de la déclaration de Marine Le Pen sur l’immigration.
- Le groupe 2 (fact checking) est informé de la déclaration de Marine Le Pen et des vrais chiffres fournis par l’UNHCR.
- Le groupe 3 (chiffres officiels) ne reçoit que les chiffres fournis par l’UNHCR.
- Le groupe 4 forme le groupe de « contrôle » et n’a reçu aucune information.

Source : Facts, alternative facts, and fact checking in times of post-truth politics”, Journal of Public Economics n° 182, 2020.
La figure 1 montre que pour les personnes se situant dans les groupes 1 et 2, les intentions de vote pour Marine Le Pen dépassent d’environ 7 points de pourcentage celles du groupe de contrôle.
Ce qui signifie, d’une part, que promouvoir des faits alternatifs « rapporte » 7 points de pourcentage de votes supplémentaires (groupe 1 vs groupe 4) et, d’autre part, que vouloir corriger le tir par du fact checking ne change rien (groupe 2 vs groupe 4).
Un fait alternatif démenti par des chiffres incontestables « rapporte » toujours 7 points de pourcentage de votes supplémentaires.
La figure 1 met aussi en évidence le fait que fournir simplement aux participants les vrais chiffres augmente leurs intentions de vote pour Marine Le Pen : dans le groupe 3, ces intentions dépassent ainsi de 4 points celles du groupe de contrôle.
Le simple fait d’attirer l’attention des électeurs sur une question sensible, en l’occurrence celle de l’immigration, accroît leur inquiétude et les incite un peu plus à voter pour la candidate du Rassemblement national.
Ce phénomène est bien connu des médias : porter sur le devant de la scène un thème associé à une personnalité politique profite toujours à cette dernière, quel que soit ce qui en est dit.
Confiance dans les chiffres
Au-delà de leurs intentions de vote, tous les participants ont aussi été interrogés sur leur accord avec la politique migratoire de Marine Le Pen, qui préconisait de fermer les frontières aux réfugiés et de fortement limiter l’immigration légale. La figure 2 confirme les enseignements de la figure 1.
On y voit que dans les groupes 1, 2 et 3, l’accord avec la politique migratoire de Marine Le Pen est respectivement de 4, 3 et 2 points de pourcentage supérieur à celui du groupe de contrôle. Le fact checking n’a pratiquement aucune utilité (groupe 2 vs groupe 4).
Pour clore cette expérience, il est également demandé aux participants à qui on a communiqué les statistiques officielles produites par l’UNHCR (les groupes 2 et 3), s’ils avaient confiance dans ces chiffres.
La très grande majorité des participants répondent par l’affirmative ! Il serait donc erroné de croire que dans leur ensemble, les électeurs, et ceux de Marine Le Pen en particulier, seraient crédules ou complotistes.
Ils font même plus confiance aux chiffres des « experts » qu’à ceux de leur favorite… ce qui ne les empêche pas de voter pour elle. Le fact checking ne permet pas de changer les positions partisanes.