Cet article est extrait de notre magazine consacré aux super-pouvoirs économiques des politiques. À retrouver en kiosque et en ligne.
On attend généralement d’une science qu’elle explique les phénomènes sur lesquels elle se penche. La médecine, par exemple, explique une maladie en exposant ses causes : tel virus a causé tels dommages à l’organisme, qui a réagi de telle manière.
Il devient alors possible de développer des thérapeutiques visant à lutter contre la maladie.
Cependant, avant de pouvoir expliquer les dommages infligés par un virus donné, biologistes et médecins doivent d’abord le décrire, ainsi que les symptômes qu’il provoque.
Ce travail descriptif permet notamment de s’assurer que l’on a bien affaire à un virus nouveau et de découvrir à quelle famille il appartient.
Préalable ou objectif ?
Si pour de nombreuses sciences la description n’est qu’un préalable à l’explication, elle en est l’objectif final pour d’autres. Ainsi, la taxonomie, une branche de la biologie, vise à décrire le monde vivant.
Bien entendu, ce travail ne consiste pas uniquement à accumuler les descriptions d’animaux et de plantes, mais à les organiser selon une logique évolutive – c’est-à-dire, à retracer les liens de parenté des vivants entre eux.
On y découvre par exemple que l’être humain et le chimpanzé possèdent en commun un ancêtre ayant vécu il y a six millions d’années, tandis que notre dernier ancêtre commun avec le gorille est plus ancien.
La description occupe également une place centrale en sociologie et, plus largement, en sciences sociales. Pour certains chercheurs, elle constitue même l’objectif ultime.
Là encore, il ne s’agit pas d’accumuler des observations éparses, mais de décrire les situations ou les phénomènes sociaux dans le cadre de théories sociologiques.
À lire aussi > Un prof de sociologie peut-il être « neutre » ?
Ces théories fournissent aux chercheurs un certain outillage conceptuel et méthodologique (statistique, par exemple), des questions jugées pertinentes à adresser à l’objet d’étude, des indications concernant la façon de construire ce dernier afin que certains éléments soient mis en évidence plutôt que d’autres, ou encore des exemples types de descriptions considérées comme des modèles à suivre.
C’est ainsi que les descriptions en sociologie acquièrent une véritable dimension scientifique qui les distingue de celles produites par d’autres acteurs, tels que les journalistes.
De nombreux sociologues considèrent pourtant que leur travail descriptif doit conduire à l’explication des phénomènes. Comme pour la description, les méthodes suivies sont multiples et, parfois, concurrentes.
Pour certains chercheurs, l’explication d’un phénomène social consiste à mettre en évidence ses causes, tandis que pour d’autres, son explication repose sur les raisons qui ont poussé les individus à agir comme ils l’ont fait.
Bourdieu, Passeron, Boudon
Ainsi, dans les années 1960 et 1970, les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, d’un côté, et Raymond Boudon, de l’autre, s’accordaient sur la description d’un phénomène précis : les enfants de familles des classes sociales supérieures sont beaucoup plus nombreux à obtenir des diplômes élevés à la fin de leurs études que ceux qui sont issus de familles modestes – un constat toujours d’actualité.
Ces sociologues divergeaient en revanche sur l’explication du phénomène. Pour Bourdieu et Passeron, l’école en est la cause, dans la mesure où elle favorise les élèves disposant de connaissances (culture générale, etc.) et d’aptitudes (aisance d’expression, etc.) acquises non pas en ses murs, mais à la maison.
Or, les parents ayant suivi de longues études sont en mesure de transmettre ce bagage à leurs enfants. Ces derniers auront donc plus de facilités que les autres à réussir eux-mêmes un bon parcours d’études.
À voir > Grand écart #8 Mixité sociale : qui intègre les grandes écoles ?
Selon Boudon, l’explication réside plutôt dans les décisions stratégiques des individus. Par exemple, s’engager dans des études supérieures repousse l’âge d’entrée dans la vie professionnelle salariée.
Ce « manque à gagner » temporaire est difficilement supportable pour les familles modestes. Les élèves issus de ces milieux ont donc de bonnes raisons d’interrompre rapidement leurs études. Dans les deux cas, une explication est proposée au fait que les enfants de familles modestes accèdent moins souvent aux diplômes les plus élevés.
Si la sociologie peut donc expliquer et non seulement décrire, les modèles explicatifs à privilégier font en revanche rarement l’unanimité chez les chercheurs du domaine .