Qu’elle procède de la charité publique, privée, ou bien de choix collectifs, la protection sociale a des origines très anciennes. En 123 av J.-C., Caius Gracchus, tribun de la plèbe, instaure des distributions de pain aux plus pauvres des Romains. Les ordres religieux couvrent l’Europe du Moyen-Âge d’hospices, d’hôtels-Dieu qui soulagent les peines et soignent les malades. Certaines congrégations sont même spécialisées, tels les Lazaristes ou les Filles de la Charité fondées par saint Vincent de Paul au XVIIe siècle.
Quand nécessité fait loi
C’est cependant en Angleterre que naît le premier système général d’aide aux pauvres avec le Poor Relief Act de 1601. Chaque paroisse doit mettre en place un système de distribution de denrées alimentaires et de vêtements pour ceux qui sont trop faibles ou trop vieux pour travailler ou ceux qui sont sans ressources pour des raisons indépendantes de leur volonté. Le financement est assuré par les plus riches des paroissiens qui doivent verser une redevance. Ces lois sont approfondies en 1795 par l’adoption du Speenhamland Act qui crée des maisons pour les malades, les infirmes et les vieillards et instaure l’aide à domicile pour les plus pauvres : ils reçoivent une indemnité journalière calculée sur le prix du pain. Pour Malthus (Essai sur le principe de population, 1708), ces lois encouragent la natalité et désincitent les plus pauvres à se prendre en charge. Elles seront abolies en 1834. Leur succèdent les terribles workhouses dans lesquelles sont regroupés les indigents obligés de travailler. Sur les pauvres pèse désormais le soupçon de la paresse, un débat qui demeure d’actualité !
Le développement de l’économie industrielle provoque une rupture majeure au sein des sociétés occidentales. L’exode rural et l’extension du salariat cassent les solidarités traditionnelles. Les confréries, caisses de solidarité et premiers syndicats offrent des réponses très insuffisantes aux difficultés auxquelles est confrontée la classe ouvrière naissante. Poussées autant par l’esprit de charité que par la crainte de l’essor des idées révolutionnaires, les élites politiques prennent conscience de la nécessité d’agir face à la « question sociale ».
La naissance de l’État-providence
Le premier pays à se doter d’un système cohérent de protection est l’empire allemand. Bismarck instaure le « socialisme d’État ». L’assurance sociale est mise en place par les lois de 1883, 1884 et 1889 qui couvrent la maladie, les accidents du travail et la vieillesse. Le système est financé par les cotisations des travailleurs et des employeurs. Il est géré de manière paritaire. Bismarck, dans la foulée, interdit le Parti socialiste (SPD) : puisque l’État s’occupe de l’état physique et moral des ouvriers, à quoi pourrait-il bien servir ?
En Angleterre, sous la houlette de David Lloyd George, un système comparable est mis en place. En 1908, le Old-Age Pensions Act crée un système de retraites universel et en 1911, le National Insurance Act prend en charge la santé et – nouveauté majeure – le chômage en créant une allocation spécifique, la Dole.
La crise des années 1930, les difficultés causées par la Seconde Guerre mondiale et la montée en puissance des idées keynésiennes vont pousser les gouvernants à aller plus loin. Dès 1935, dans la cadre du New Deal, Franklin Roosevelt fait adopter le Social Security Act qui instaure une protection contre le chômage et un système de retraites. Il échoue cependant dans sa volonté de créer une assurance maladie universelle.
C’est au lendemain de la guerre que les systèmes les plus avancés naissent et que s’affirment les deux grandes conceptions en matière de protection sociale : logique bismarckienne d’assurance et logique beveridgienne d’assistance instaurent le welfare state. En octobre 1945, en France, le gouvernement provisoire promulgue les ordonnances qui créent la Sécurité Sociale. Elles couvrent l’ensemble des risques sociaux, sauf le chômage. La logique est plutôt bismarckienne – le financement est assuré par des cotisations des employeurs et des salariés et la gestion, paritaire. L’objectif proclamé ? Couvrir à terme toute la population et non les seuls salariés et leurs ayants droit.
En Angleterre, les lois de 1946 portées par le gouvernement travailliste aboutissent à la création du National Health Service. Le système repose sur le principe des trois « U » (Unité, Universalité, Uniformité). Tous les citoyens sont couverts, le système est financé par l’impôt sur le revenu et directement géré par des agences gouvernementales : il relève d’une logique beveridgienne d’assistance.
Depuis ces systèmes se sont étendus, sophistiqués. Ils existent à des degrés différents dans tous les pays développés, mais connaissent, depuis les années 1970, des difficultés de financement liées au ralentissement de la croissance et au vieillissement des populations. Il n’en reste pas moins qu’ils ont permis une vraie amélioration de l’état sanitaire des populations et un recul sensible de la pauvreté.