L’essentiel
- La réaction du FMI face aux propositions économiques britanniques sont inhabituelles : l'institution n'a pas pour habitude de cibler publiquement un État mais davantage d'identifier des dysfonctionnements quand il est appelé à l'aide par des pays en difficulté..
- L’image libérale de l’institution basée à Washington date des années 1980 avec l’influence du Consensus de Washington. Un dogme déjà remis en cause depuis 2008. Le FMI suit la marche interventionniste des institutions en encourageant l’investissement dans l’énergie, la santé ou encore l’alimentaire.
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« Compte tenu des pressions inflationnistes élevées dans de nombreux pays, y compris le Royaume-Uni, nous ne recommandons pas de programmes budgétaires importants et non ciblés à ce stade, car il est important que la politique budgétaire ne fonctionne pas à contre-courant de la politique monétaire. »
Quand, fin septembre, tombe ce commentaire de la part du FMI, à Londres, c’est la stupeur. Car si le ton reste celui d'une institution économique internationale, le message subliminal envoyé est limpide et pourrait se traduire simplement par : « Mme Truss, vous faîtes fausse route. »
L’essentiel
- La réaction du FMI face aux propositions économiques britanniques sont inhabituelles : l'institution n'a pas pour habitude de cibler publiquement un État mais davantage d'identifier des dysfonctionnements quand il est appelé à l'aide par des pays en difficulté..
- L’image libérale de l’institution basée à Washington date des années 1980 avec l’influence du Consensus de Washington. Un dogme déjà remis en cause depuis 2008. Le FMI suit la marche interventionniste des institutions en encourageant l’investissement dans l’énergie, la santé ou encore l’alimentaire.
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« Compte tenu des pressions inflationnistes élevées dans de nombreux pays, y compris le Royaume-Uni, nous ne recommandons pas de programmes budgétaires importants et non ciblés à ce stade, car il est important que la politique budgétaire ne fonctionne pas à contre-courant de la politique monétaire. »
Quand, fin septembre, tombe ce commentaire de la part du FMI, à Londres, c’est la stupeur. Car si le ton reste celui d'une institution économique internationale, le message subliminal envoyé est limpide et pourrait se traduire simplement par : « Mme Truss, vous faîtes fausse route. »
Au moment d'annoncer des réformes budgétaires axées sur d’importantes baisses d’impôts - en partie destinées aux plus riches -, le gouvernement conservateur britannique encore dirigé par Liz Truss n’imagine pourtant pas déclencher une telle tempête politique et financière. Et surtout pas, de s’attirer les foudres d’une institution financière historiquement peu réputée pour critiquer les baisses d’impôt.
Fonds monétaire international
Créé en juillet 1944, lors de la conférence des Nations unies de Bretton Woods. Le FMI vise d’abord à assurer la stabilité du système monétaire international, en d’autres termes, le système international de paiements et de change qui permet aux pays d’échanger entre eux. Pour ce faire, il évalue les perspectives économiques de l’économie mondiale, les marchés financiers et les finances publiques des États. Il fournit aussi une aide financière aux pays en difficulté. Les autorités nationales élaborent, en collaboration avec lui, des programmes d’ajustement qui bénéficient du financement de l’institution, ces concours financiers restant subordonnés à la réalisation effective de ces programmes.
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L’influence du Consensus de Washington
Cette déclaration est-elle le signal d’un nouveau virage pris par le FMI ? En tout cas, elle participe d’une démarche inhabituelle de la part du Fonds, constate Stéphane Longuet, maître de conférences à l’université de Picardie, spécialiste de l’histoire de la pensée économique libérale et de l’économie des institutions.
« Le FMI n’a pas pour habitude de cibler publiquement les États. En règle générale, il réagit lorsqu’il est sollicité pour identifier des dysfonctionnements de politiques économiques ou auprès d’États qui sollicitent des crédits. Alors que dans ce cas-là, le FMI est intervenu comme un acteur international classique. » Une réaction d’autant plus surprenante qu’elle critique une mesure d’inspiration libérale, historiquement plus encline à plaire au Fonds, perçu comme un représentant de cette pensée économique.
En effet, « depuis les années 1980, le Fonds conditionne particulièrement ses prêts (notamment aux pays du Sud lors de la crise de la dette) à des réformes de libéralisation du marché et à des politiques d’austérité », appuie Stéphane Longuet.
Et ce, sous l’influence du Consensus de Washington qui infuse l’institution « en poussant à limiter l’intervention de l’État, à développer les marchés, à accepter la mondialisation et à mettre en valeur la concurrence », précise Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds (2008-2015) et professeur émérite au MIT (Massachussetts Institute of Technology).
Consensus de Washington
Désigne un accord tacite du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale (BM), avec le soutien du Trésor américain, pour n’accorder des aides financières aux pays en développement en difficulté (endettement, hyperinflation, déficits budgétaires, etc.) qu’à la condition que ceux-ci adoptent des politiques libérales.
Dominique Strauss-Kahn et le tournant de 2008
Mais les années 1980 marquent déjà un premier changement idéologique car depuis sa création en 1945 « le FMI est plus vu comme une institution d’après-guerre de soutien que comme un gendarme », renchérit l’ancien économiste en chef du Fonds. De plus, « il ne faut pas oublier que le FMI est né à Bretton Woods dans un environnement Keynésien de synthèse », ajoute Stéphane Longuet.
Keynésianisme de synthèse ou synthèse Néoclassique
Fondée par Paul Samuelson et John Hicks, cette école de pensée est particulièrement populaire pendant les Trente Glorieuses. Elle mélange des thèses de l’école néoclassique et de l’école Keynésienne, avec un maintien de l’intervention de l’État à court terme et en période de crise et une plus grande liberté des marchés en période normale.
Le prêteur international n’est donc pas prisonnier d’une seule ligne idéologique depuis sa création. « D’ailleurs les responsables du Fonds vous diraient que leur institution est pragmatique et non pas idéologique », note le professeur de l’Université d’Amiens.
Un exemple de cette adaptation : 2008. « À cette date, il y a eu un infléchissement de l’institution pour deux raisons, détaille l’ancien chef économiste Olivier Blanchard : l’arrivée au FMI de Dominique Strauss-Kahn (et de moi-même) avec des positions plus volontaristes sur l’utilisation des politiques budgétaires pour relancer l’économie et dans la lutte contre les inégalités. Et puis, il y a aussi la crise financière de 2008 qui a remis en cause le dogme libéral, et montré la nécessité de réguler les marchés et les flux de capitaux. »
Ce tournant est, selon lui, à l’origine d’un « travail analytique au sein du FMI qui a mené à une série de recommandations résumées dans un document publié en 2020 : Integrated Policy Framework » et qui guide désormais le travail du Fonds. Déjà, dans un article paru en 2016 intitulé Neoliberalism, Oversold ? (Le Néolibéralisme est-il surfait ?), trois économistes du FMI* remettaient en question la diffusion du libéralisme depuis une quarantaine d’années.
Ce virage se retrouve dans la promotion de politiques publiques plus interventionnistes. Ces dernières années, le Fonds promeut dans ses rapports des hausses d’impôts permanentes et le fléchage des dépenses publiques dans la santé, l’alimentation ou l’éducation. Des recommandations qu’il devrait continuer à fournir dans le contexte économique actuel d’inflation, de crise alimentaire et de l’énergie.
Un nouveau rôle d’influenceur ?
« Je ne pense pas que le FMI soit actuellement à un autre tournant idéologique, pense Olivier Blanchard. Les principes qui ont évolué depuis 2008 peuvent être appliqués aux crises actuelles car la manière de réfléchir est, je crois, à peu près la bonne. Et finalement, la critique envers le gouvernement britannique ne concernait qu’une petite partie du programme, à savoir la baisse d’impôts pour les plus riches dans un contexte où les déficits supplémentaires ne sont pas souhaitables et où ce genre de politique est perçu avec scepticisme au Fonds. »
En revanche, pour Stéphane Longuet, cette récente intervention du FMI dans le débat public reste intéressante car elle pourrait dessiner un nouveau rôle à l’institution : celui d’acteur sur l’opinion publique. Au Royaume-Uni, Liz Truss n’y aura pas survécu : elle a annoncé sa démission moins de 6 semaines après l’annonce de son budget.
*Jonathan D. Ostry, Prakash Loungani et Davide Furceri
Dans le programme de SES
Première. « Comment les agents économiques se financent-ils ? »