Élu président de la IIe République en 1848 (le premier à être élu au suffrage « universel »… masculin !), Louis-Napoléon Bonaparte devient l’empereur Napoléon III après le coup d’État du 2 décembre 1851. Autocrate, mais aussi inquiet de la progression de la pauvreté, il s’intéresse à la question sociale comme le montre son étude De l’extinction du paupérisme, en 1844.
Il écrit : « C’est dans le budget qu’il faut trouver le premier point d’appui de tout système qui a pour but le soulagement de la classe ouvrière. »
« Dépenses productives » de l’État
Entouré de techniciens, industrialistes saint-simoniens pour la plupart, l’Empereur est convaincu de l’efficience des « dépenses productives » de l’État, qui passent de 1,5 milliard de francs à 2,6 milliards par an : agrandissement des ports, travaux d’assainissement ruraux et urbains (un nouveau réseau d’induction d’eau et plus de 800 kilomètres d’égouts modernes sont créés à Paris), modernisation de la capitale par les grands travaux du préfet de la Seine Haussmann.
Dépenses publiques
Ensemble des dépenses de l'État, des collectivités territoriales et des organismes sociaux, financées par les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales ) et par endettement. Indicateur du poids des administrations publiques dans l'économie
La question sociale est aussi traitée par l’assainissement et l’éclairage urbain. Les ancêtres des HLM font leur apparition. Le ferroviaire se développe considérablement entre 1850 et 1870, passant d’un peu plus de 3 000 km de voies discontinues à un véritable réseau ferré de 18 000 km reliant Paris aux frontières et aux ports.
Dans les années 1860, l’accélération de la construction du chemin de fer permet la constitution d’un réseau, et donc d’un marché national : spécialisation de l’offre, lissage des prix, fin des pénuries de blé. La croissance économique atteint un rythme soutenu de 2 % par an.
Sous l’impulsion du polytechnicien Michel Chevalier, qui le négocia avec Richard Cobden, l’Empereur signe en 1860 un traité de libre-échange avec l’Angleterre, qui supprime entre les deux pays les taxes douanières sur les matières premières et la majorité des produits alimentaires. Ce « coup d’État douanier » bouscule le capitalisme français et fait baisser les prix des consommations, tout en stimulant les exportations.
Malgré la réticence des épargnants à confier leur argent aux banques, Paris devient une grande place financière. La capitalisation boursière passe de 9 milliards de francs à 31 milliards sous le Second Empire, permettant notamment le financement du chemin de fer.
Bourse
La bourse est un marché réglementé où s’organisent des échanges d’actifs financiers. Elle donne aux entreprises privées et publiques ainsi qu’à l’État la possibilité de trouver des financements auprès des investisseurs privés et institutionnels.
Les banques de dépôt se développent en drainant l’épargne des Français, assurant au crédit à la fois une base et sa meilleure allocation : « C’est sous le Second Empire que la part de la formation du capital [industriel] dans le revenu national progresse de 17,5 % à 20,5 %. Elle atteint alors un niveau qui sera à peine surpassé par la suite », note l’économiste Tihomir. J. Markovitch.
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Dès 1867, les sociétés anonymes n’ont plus besoin de solliciter l’accord du Conseil d’État : cela stimule leur création.
Hausse des salaires et légalisation de la grève
La hausse du salaire ouvrier réel est de 16 % en 20 ans, autorisant une amélioration du régime alimentaire : de la viande, moins de pain. Influencé par les socialistes utopiques, Napoléon III pense que le crédit suscite la richesse qui provoque des retombées sociales.
La consommation des Français progresse, permise par le développement du commerce de détail et par une nouveauté parisienne, les grands magasins : le Bon Marché, le Louvre, la Samaritaine œuvrent Au bonheur des dames (Émile Zola, Les Rougon-Macquart).
En 1862, désireux de rallier les ouvriers tout en en tirant un bénéfice économique ou politique, l’empereur subventionne le voyage à l’exposition universelle de Londres de délégations des différents corps de métiers.
Encouragé par Napoléon III qui y voit un moyen de créer un lien avec les ouvriers, Émile Ollivier, homme politique libéral, fait voter en 1864 l’abolition du délit de coalition, légalisant de fait la grève en autorisant, sous certaines conditions, « la cessation concertée du travail » (la loi Ollivier maintiendra cependant le délit d’entrave).
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Le patronat furieux et inquiet
Pourquoi, avec un tel bilan, Victor Hugo, en exil à Guernesey, adversaire intraitable de celui qu’il appelle le « tyran » alors qu’il s’accordait pourtant avec lui sur l’urgence sociale, a-t-il dressé dans Les Châtiments (1853) un portrait aussi assassin de « Napoléon le petit » ? C’est que le miracle de la richesse cache un mirage.
L’haussmannisation s’accompagne de spéculation foncière : « Haussmann usa d’expédients, émettant des emprunts plus ou moins illégaux ou faisant appel aux ressources du Crédit foncier (créé en 1852), ayant pour seule justification la théorie des dépenses productives », rappelle l’historien Alain Plessis (De la fête impériale au mur des fédérés, 1979).
L’affairisme des frères Pereire, proches du pouvoir, débouche sur la faillite du Crédit mobilier en 1867. En ce siècle libéral, aucun aléa moral : l’argent public ne sauve personne, les actionnaires prennent leurs pertes.
Le patronat, furieux de se voir imposer la concurrence anglaise par l’abaissement des barrières douanières (le traité Cobden-Chevalier fut suivi d’accords analogues avec les pays voisins et ceux du Zollverein), fonde en 1864 le Comité des forges pour éviter une guerre des prix entre sociétés françaises : un cartel (pas) très discret.
Le même patronat s’inquiète du tropisme « socialiste » de l’Empereur. Ne dit-on pas de l’Internationale créée en 1864 par Marx qu’elle est un « enfant né dans les ateliers de Paris et mis en nourrice à Londres » ? Le patronat craint également une remise en cause du paternalisme comme de l’autonomie des chefs d’entreprises.
Enfin, la condition ouvrière n’a guère évolué : les journées de travail durent encore en moyenne 12 heures, dans des conditions déplorables d’hygiène et de sécurité. Les hausses de prix reprennent une bonne partie des hausses de salaires, très différents selon les métiers et particulièrement faibles dans le textile, qui emploie le plus grand nombre d’ouvriers.
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