L’impôt et les taxes sont l’objet de débats incessants dans un pays qui, depuis longtemps, marie taux de prélèvements obligatoires record et instabilité fiscale : chaque élection, chaque alternance politique provoquent des controverses : faut-il taxer davantage les revenus, le patrimoine, les entreprises…
Cette “passion” pour l’impôt n’est pas nouvelle, elle est inscrite dans le processus de construction de l’État français moderne. On peut même considérer que la naissance de la République est intimement liée à la question fiscale.
La Révolution française, révolte fiscale ?
En 1789, quand s’ouvrent les États généraux du royaume, la France est dans une situation financière difficile. La monarchie est endettée et il faut trouver de nouvelles recettes.
Lors de la rédaction, dans chaque paroisse, des cahiers de doléances du tiers état, les fiscalités royales et seigneuriales (ce qu’il faut payer au roi et au seigneur) occupent le premier rang des réclamations adressées au roi.
Jusqu’en 1789, l’impôt a trois origines : royale, seigneuriale et ecclésiastique. Selon la province où l’on vit, l’importance des prélèvements est très différente : dîme (perçue par l’Église), taille (impôt royal direct), aides (taxes indirectes dont la plus célèbre est la gabelle, l’impôt sur le sel) ont des taux très variables.
Depuis 1614, les États généraux n’ont pas été réunis et il n’y a pas de véritable consentement à l’impôt, à la différence de ce qui se passe en Angleterre, où le débat fiscal fait partie des prérogatives parlementaires.
La fiscalité apparaît donc, à la veille de la Révolution, comme le premier symbole de l’arbitraire royal.
D’autant qu’au XVIIIe siècle, la réflexion sur l’impôt s’est développée et que deux grandes aspirations ont émergé : d’une part, éviter que la charge ne pèse uniquement sur ceux qui produisent, comme l’affirme Pierre Le Pesant de Boisguilbert, d’autre part, faire contribuer les ordres privilégiés comme le souhaitent les physiocrates (école de pensée économique et philosophique des années 1750).
Ils affirment que la rente foncière et la propriété doivent constituer la principale base fiscale.
Inadapté à la société industrielle
L’abolition des privilèges et l’affirmation de la souveraineté nationale aboutissent à une réforme complète.
Le consentement à l’impôt et la détermination de son assiette (base de calcul) et de sa quotité (taux) sont inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
La fiscalité de l’Ancien Régime est abolie et remplacée par un système d’impôt direct sur une assiette objective : apparaissent ainsi les « quatre vieilles », la contribution foncière, la contribution mobilière et la patente, auxquelles se rajoute la contribution sur les portes et fenêtres. Elles se maintiennent jusqu’en 1917.
Il n’y a plus aucun impôt personnel. Napoléon Ier réintroduira des taxes indirectes (tabac, boissons, sel) et des droits de timbre, de douane et d’enregistrement et fera ainsi sienne la conception de Colbert : « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. »
L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris.
Colbert, Contrôleur général des finances (1665-1683) sous le règne du roi Louis XIV
Pendant tout le XIXe siècle, la France a donc un système fiscal hérité de la Révolution, dont l’assise est la consommation et la propriété : il s’avère peu adapté à la société industrielle.
Efficacité fiscale, justice sociale
Le développement de l’industrie et du commerce explique les réflexions qui s’engagent sur l’impôt. Elles se doublent de la montée en puissance de la « question sociale ».
L’efficacité fiscale et la justice sociale deviennent convergentes dans un pays dont les charges augmentent (armée, instruction obligatoire, infrastructures et administrations).
La mise en place d’un impôt sur le revenu fait son chemin : il faut augmenter les recettes en tenant compte des facultés des contribuables comme l’ont déjà fait l’Angleterre ou l’Allemagne ou… la monarchie française, avec la taille personnelle.
Après des années de débats passionnés, la loi de 1914 instaure l’impôt progressif sur le revenu. Si au départ les taux sont faibles, ils augmentent considérablement avec la guerre : en 1924, période de reconstruction, le taux marginal de l’Impôt général sur le revenu (IGR) atteint 90 % !
Après la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction exige des financements performants. En 1954, le parlement décide d’instaurer la TVA. Cette invention française remplace tous les vieux impôts indirects. Parce qu’elle est perçue lors du paiement des biens et services sur lesquels elle est établie, elle est indolore et facile à percevoir.
La réforme impossible ?
Depuis, la fiscalité française s’est enrichie d’un nombre considérable de prélèvements : taxes sur la consommation des produits énergétiques, sur le tabac et l’alcool, redevance audiovisuelle, auxquelles se sont ajoutées les contributions sociales comme la Contribution sociale généralisée (CSG) ou la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS).
Les entreprises s’acquittent, quant à elles, de l’impôt sur les sociétés. Si l’on ajoute les cotisations sociales, on obtient un taux de prélèvement obligatoire de plus de 48 %, ce qui constitue un record. Pourtant, les déficits s’accumulent, les dettes publiques et sociales s’envolent.
Depuis des années, l’idée d’une réforme de l’État et de la protection sociale est envisagée, mais le système résiste, renvoyant à la célèbre analyse de Georges Clemenceau : « La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts. »