Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Le constat est implacable : le dernier excédent du commerce extérieur français date de 2003 et depuis cette date, la situation ne cesse de se dégrader. Le déficit cumulé du commerce extérieur atteint plus de 900 milliards.
Alors que notre voisin allemand a réalisé, de juillet 2020 à juillet 2021, un excédent de 216 milliards d’euros, la France a, elle, enregistré un déficit de presque 68 milliards. Celui-ci nous coûte chaque année environ 0,5 point de PIB, ce qui est considérable dans une période où la croissance atteint au maximum 1,5 % à 2 % par an.
Faut-il y voir une malédiction française ou le résultat des choix de politique économique et sociale ?
Colbert veut dépasser l’Angleterre
La question du commerce extérieur devient une affaire d’État sous le règne de Louis XIV. Dans une optique mercantiliste, Jean-Baptiste Colbert entend faire de la France une grande puissance commerciale. Le pays se lance alors dans une politique d’expansion maritime et de développement industriel : il faut exporter le plus possible en limitant au maximum les importations pour égaler, voire dépasser, les Provinces-Unies et l’Angleterre.
Pendant plus d’un siècle, la France vit sur cette lancée en exportant les produits de luxe des manufactures royales et en réexportant les produits de son empire colonial (sucre, café, coton…). Pendant tout le XVIIIe siècle, la croissance du commerce extérieur français est aussi intense, voire plus, que celle du concurrent anglais. La Révolution française et les guerres napoléoniennes ruinent cet élan.
S’ensuivent des années de marasme, tout au long de la première moitié du XIXe siècle. Si les économistes français les plus connus – comme Jean-Baptiste Say et Frédéric Bastiat – se font les propagandistes du libre-échange, les industriels sont plus réticents : ils redoutent la concurrence anglaise, puis la concurrence allemande. Le déficit de la balance commerciale est constant.
À l’embellie relative du Second Empire qui engage la France dans la libéralisation commerciale avec le traité Cobden-Chevalier de 1860, succède le retour aux conceptions protectionnistes et mercantilistes dont l’apogée est l’adoption des tarifs Méline de 1892 qui protègent l’agriculture domestique.
Durant toute la fin du siècle, les importations croissent plus vite que les exportations. Les raisons sont multiples : la France peine dans le secteur des biens d’équipement qui font le succès de l’Allemagne, retard que ne parvient pas à compenser l’essor des industries du luxe.
Cette dégradation est aussi due à la croissance de l’économie française : les entreprises importent les matières premières et les machines qu’elles ne produisent pas et l’élévation du niveau de vie provoque la hausse des importations de produits tropicaux comme le café.
À l’issue de la Première Guerre mondiale, la situation continue de se dégrader et la part de la France dans le commerce mondial recule. Dans les années 1930, la surévaluation du franc consécutive à l’attachement de la France au bloc-or (alors que la livre et la lire ont été dépréciées de plus de 30 %) et sa dévaluation trop tardive entraînent de nouvelles difficultés dans un contexte peu favorable.
Trente Glorieuses. Seulement.
Après la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction et la décolonisation libèrent les énergies.
C’est le « miracle français » des Trente Glorieuses. Il n’est plus question de choisir entre l’empire et le reste du monde : dès 1958, la France s’ouvre à l’Europe et met fin à ses droits de douane pour les membres de la CEE. Pourtant, malgré une forte croissance, les déficits sont permanents. Seules les années qui suivent les dévaluations sont excédentaires.
C’est dans les décennies 1970-80 que la situation s’aggrave. Les facteurs sont doubles : d’une part, la conjoncture est mauvaise après le choc pétrolier et les tentatives de relance keynésienne (1974 et 1981) provoquent un boom des importations ; d’autre part, les choix faits depuis la Libération pèsent sur les entreprises françaises.
Le financement du système social rogne leurs marges et plombe leur trésorerie et le SMIG (SMIC depuis 1972), qui ne dépend pas de la productivité, est très élevé. Dans une économie mondialisée, la France subit donc une compétitivité dégradée. Le taux de pénétration des produits étrangers augmente, les parts de marché à l’exportation diminuent : des segments entiers de la production ont été abandonnés.
Le coût horaire du travail est le plus élevé de l’UE, le positionnement en gamme est médiocre, les exportations dépendant de l’Union. Trop peu d’entreprises françaises exportent : quand 100 d’entre elles le font, elles sont 265 en Allemagne. Enfin, la balance des services est devenue déficitaire.
Pays en développement ?
Le rétablissement n’est pas garanti et le Haut-Commissariat au Plan souligne que le commerce extérieur français ressemble à celui d’un pays en développement qui exporte des produits bruts et importe des produits manufacturés ou transformés et que, pour la première fois depuis 1962, l’agroalimentaire est déficitaire. La France semble donc connaître de grandes faiblesses structurelles, mais elle pâtit aussi d’un euro trop fort et de choix de politiques économiques et sociales qui grèvent lourdement la compétitivité-prix de ses entreprises .