L’évasion fiscale touche, à des degrés divers, tous les pays. Pour la limiter, la politique standard consiste à multiplier les contrôles et à sanctionner les fraudeurs lorsqu’ils sont repérés. Mais ne pourrait-on pas aussi valoriser l’acte civique qui consiste à payer ses impôts ? L’évaluation de deux dispositifs expérimentés au Pakistan prouve effectivement que jouer sur cet aspect moral n’est pas dénué d’efficacité.
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Un civisme contagieux
Un premier dispositif, datant de 2012, consiste à divulguer le montant des impôts payés par tous les contribuables. Ces informations exposent chaque individu à être dénoncé comme fraudeur par ses voisins ou sur les réseaux sociaux, si le montant de l’impôt ne semble pas correspondre au train de vie observé.
Sur le site internet du gouvernement s’affichent ainsi le nom de chaque contribuable et l’impôt qu’il a acquitté. En revanche, l’adresse reste secrète, ce qui rend la transparence très inégalitaire, car il y a des noms très communs et d’autres qui le sont beaucoup moins.
Par exemple, le patronyme Muhammad Aslam apparaît près de 16 000 fois, tandis qu’environ un tiers des contribuables possèdent des noms uniques. Pour ces derniers, la transparence est totale alors que ceux qui s’appellent Muhammad Aslam jouissent de facto d’un anonymat quasi parfait.
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A priori, ce dispositif ne fait que renforcer la politique standard fondée sur les menaces d’être repéré et sanctionné. Cet impact a été effectivement mis en évidence en comparant le comportement des contribuables avant et après 2012, date à laquelle les informations fiscales ont commencé à être divulguées.
Après 2012, les individus ayant un nom unique ont nettement augmenté leurs versements au fisc tandis que les contribuables ayant des noms relativement communs n’ont pas changé leur comportement. La transparence suscite donc bien l’effet dissuasif habituel provoqué par la peur d’être repéré puis sanctionné.
Mais ce n’est pas le seul effet. La transparence agit aussi sur le civisme des contribuables, indépendamment des menaces de punition. Ainsi, dans les quartiers où les contribuables ont des noms relativement moins communs qu’ailleurs – des quartiers où la transparence est donc plus forte – les impôts acquittés après 2012 ont augmenté sans corrélation avec le nom du contribuable.
Ce résultat traduit un renforcement de la « confiance » entre les citoyens : on paye plus volontiers ses impôts si l’on constate qu’autour de soi, la plupart des gens les payent également. Les comportements civiques sont contagieux.
Un moteur : la reconnaissance
Par ailleurs, la réforme de 2012 a réservé un traitement spécial aux parlementaires. En face de leur nom s’affiche, en plus de l’impôt acquitté, leur circonscription électorale. La transparence est donc totale… et cela s’avère particulièrement efficace. Le graphique montre ainsi qu’avant 2012, ils n’étaient que 30 % à remplir une déclaration fiscale.

Après cette date, ce taux s’élève à plus de 90 % ! La transparence quasi parfaite qui frappe les parlementaires les rend incontestablement « vertueux ». De plus, les parlementaires ayant payé le plus d’impôts ont été plus souvent réélus que les autres. Payer (beaucoup) d’impôt est donc un bon investissement pour celui qui veut faire carrière en politique !
Un deuxième dispositif, également mis en place en 2012, consiste à faire connaître publiquement les 100 plus gros contribuables dans plusieurs catégories professionnelles. Ceux qui figurent sur ce tableau d’honneur sont en plus conviés à une cérémonie organisée chaque année par le Premier ministre.
Il a été constaté qu’après 2012, les impôts payés par les contribuables qui ont le plus de chance de disparaître de ce tableau d’honneur ou au contraire d’y apparaître – ils se situent respectivement un peu au-dessus et en peu au-dessous du 100e rang – ont augmenté d’environ 17 points de plus que ceux acquittés par les autres contribuables.
Ce résultat signifie que les citoyens tiennent à être reconnus comme des contribuables exemplaires. Ils sont prêts à moins frauder pour bénéficier d’une reconnaissance sociale.
En matière d’évasion fiscale, la transparence et la valorisation du civisme ont donc une influence non négligeable sur les comportements des contribuables. Comme ces politiques sont peu coûteuses, il y aurait tout intérêt à en faire un usage plus intensif.