L’essentiel
- Une partie des étudiants français connait une précarité alimentaire, accentuée par une inflation de 12 % sur ces produits.
- La catégorie des 16-25 ans serait délaissée par l’État-providence.
- Cette précarité peut conduire les jeunes à stopper leurs études ou à les poursuivre dans de mauvaises conditions. Une préoccupation qui devient nationale, parce qu'elle affecte directement la cohésion sociale ou la croissance économique du pays.
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La nuit tombée, des dizaines d’étudiants font la queue dans un hall de l’université de Rennes 2. Un sac sur l’épaule, ceux-ci récupèrent quelques denrées alimentaires avant de rentrer chez eux dans un froid glacial.
Trois fois par semaine, l’association l’Épicerie gratuite aide plusieurs centaines de jeunes à remplir leur frigo. Selon une étude réalisée en 2018 par l’Audiar (l’agence de développement de Rennes), « près d’un étudiant sur cinq affirme connaître des difficultés pour s’alimenter régulièrement ». Une situation devenue tristement habituelle en France, aggravée par la pandémie de COVID-19 et ses bouleversements économiques.
C’est désormais à l’inflation de renforcer cette précarité. Celle-ci atteint plus de 12 % pour les produits alimentaires en 2022. Une situation qui va de pair avec les problèmes de logement, de santé ou de mobilité. Si une majorité des étudiants vit toujours dans des conditions acceptables, une partie croissante peine à boucler les fins de mois. « La rentrée a été un peu compliquée, observe Benoît, 23 ans, bénévole à l’Épicerie gratuite. Il y a plus de bénéficiaires qu’avant. » Mais cette situation est-elle vouée à perdurer ?
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Pas de dispositif véritablement protecteur et universel
En France, si la question se pose, c’est qu’une partie du fonctionnement de celle-ci repose sur un concept bien particulier : l’État-providence. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le pays s’est doté de larges compétences réglementaires, économiques et sociales. Et ce, en vue d’assurer une panoplie de filets de sécurité au bénéfice de ces citoyens, comme le RSA (Revenu de solidarité active).
État-providence
État qui intervient dans la vie économique et sociale, dans l’objectif de progrès social et de réduction des inégalités sociales (conception keynésienne). S’oppose à l’État - gendarme cantonné à des fonctions régaliennes (conception libérale).
Mais l’efficacité et l’étendue de ces dépenses ne sont pas les mêmes pour tous. Pour le sociologue Camille Peugny, la catégorie des 16-25 ans serait l’un des angles morts des politiques publiques actuelles. Si cela ne concerne qu’une partie des jeunes, ils sont malgré tout de plus en plus à accéder aux études supérieures. La massification scolaire a permis à nombre d’entre eux de poursuivre leurs études, notamment ceux issus des classes populaires.
Massification scolaire
Augmentation croissante du nombre d’individus poursuivant des études de plus en plus longues. Ne pas confondre avec la démocratisation scolaire, c’est-à-dire l’accès aux différents parcours scolaires au plus grand nombre de personnes, qu’importe leur origine sociale.
Pour ceux-là, des bourses existent bel et bien mais sont « peu nombreuses et modestes ». S’y ajoute l’impossibilité d’accéder au RSA avant 25 ans. Le chercheur note « une absence de dispositif véritablement protecteur et universel. Il existe toujours des zones de précarité qui peuvent s’étendre pour les étudiants qui ne peuvent pas compter sur les ressources de leur famille ».
Les associations prennent le relais
Être dépendant de ses parents ou du marché de l’emploi. Sans ressources suffisantes, certains étudiants sont obligés de trouver un job en parallèle. Ce qui ne garantit toujours pas de couvrir les dépenses nécessaires au bon déroulé de leurs études. « Le travail pendant les études nuit à la réussite, on le sait », assène Camille Peugny.
Certaines collectivités locales (mairies, départements, régions, etc.) et associations s’engagent pour le bien-être des étudiants, même si leur portée est limitée. Née en 2017 à Rennes, l’Épicerie gratuite compte sur les dons de nourriture, majoritairement de supermarchés ou encore des écoles du territoire pour aider ses bénéficiaires. « Au fur et à mesure, nous avons eu besoin d’avoir des salariés », rapporte Benoît, bénévole. Avec une partie du coût supporté par la faculté de Rennes et la municipalité. Une initiative créée de bric et de broc comme beaucoup d’autres, sans impulsion de l’État.
En France, si celui-ci intervient pour les 16-25 ans, c’est au coup par coup. Pour faire face à la précarité alimentaire, l’actuel gouvernement d’Elisabeth Borne a par exemple annoncé fin novembre le déblocage de 10 millions d’euros à destination d’associations.
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Des études laissées à l’abandon
Ancien bénéficiaire de l’Épicerie gratuite, Benoît trouve que cela n’est pas suffisant. Et la gratuité de l’accès à l’université ne serait qu’une façade. À quoi bon y avoir accès si l’on ne peut pas y étudier correctement ? Quid des étudiants étrangers ? « Dans l’imaginaire collectif, les études c’est un moment où tu galères ». Les conséquences de cette précarité sont pourtant bien réelles : difficultés psychologiques, problèmes de santé, éloignement social…
Avec le risque d’abandonner ses études. Et le chercheur Camille Peugny d’expliquer que la période des 16-25 ans est « un temps fragile de l’existence, celui de l’insertion ». Il est nécessaire d’accompagner les jeunes pour éviter une telle situation, de les considérer comme des citoyens à part entière.
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Au niveau de la société française, le risque est entre autres d’en fragiliser le capital humain, un facteur essentiel de la croissance économique. Selon l’économiste américain Gary Becker, il s’agit des compétences, expériences et savoirs d’un citoyen qui peuvent servir au développement d’un pays.
Capital humain
Patrimoine immatériel de chaque individu susceptible de procurer un revenu. Le capital humain selon le père de l’économie comportementale représente le stock de connaissances et d’expériences, accumulé tout au long d’une vie par des investissements. Gary Becker part du principe que chacun cherche à accroître son potentiel productif, sa productivité future et donc son salaire. Pour le Prix Nobel 1992, le salaire constitue le rendement du capital humain, la rémunération de l’investissement dans l’éducation.
La précarité étudiante va aussi impacter la cohésion sociale. C’est-à-dire la capacité d’un groupe à participer à un réseau de relations sociales lui conférant une identité propre. « Cela crée de la défiance envers les institutions, du pessimisme », développe le chercheur, auteur du livre Pour une politique de la jeunesse (Seuil, 2022). Si la France n’est pas aussi inégalitaire que les États-Unis ou le Royaume-Uni, elle crée malgré tout « un formidable gâchis ».
L’exemple des pays du Nord
Certains pays de l’Union européenne ont une approche différente. C’est le cas du Danemark. Là-bas, les études sont gratuites et tous les étudiants reçoivent une allocation d’autonomie pendant six ans, allant jusqu’à 800 euros si l’étudiant n’habite pas chez ses parents (avec des compléments aux jeunes parents ou ceux en situation de handicap).
Une manière de favoriser l’émancipation et l’égalité sociale et d’améliorer les taux de poursuite d’études. Camille Peugny estime qu’un débat autour d’un tel dispositif doit avoir lieu en France. « Dans les pays scandinaves où il y a ce genre de dispositif universel, il y a beaucoup plus d’optimisme envers l’avenir, de confiance dans le fonctionnement de la société et moins de reproduction des inégalités. »
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Dans le programme de SES
Terminale : « Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ? »
Seconde : « Quelles relations entre diplôme, salaire et emploi ? »