Science Politique
Insurrection : de l’utopie à l’action en 4 étapes
La fiction peut-elle alimenter l’action citoyenne, voire les programmes politiques ? L’histoire montre que tout est question d’imagination et de mobilisation.
Cathy Dogon
© Yann Rieu
Illustrations : Yann Rieu
« Ils regardaient la Terre comme une nourrice commune qui présente indistinctement le sein à ses enfants pressés de la faim. Tous se croyaient obligés de contribuer à la rendre fertile mais personne ne disait 'voici mon champ, mon bœuf, ma demeure.'» Dans les premières lignes de son ouvrage Basiliade, publié en 1753, Étienne Gabriel Morelly brosse son portrait de la société idéale.
Cette fiction a permis au « philosophe oublié » des Lumières de dérouler un véritable programme politique, abolissant notamment la propriété privée. Et de le diffuser largement, juste avant la Révolution Française.
1. Proposer un monde meilleur
Au début du XVIe siècle, plusieurs romans de ce type font naître un genre littéraire nouveau. Fictionnel, positif, merveilleux et épique, il dépeint une société parfaitement équilibrée, empreinte de justice sociale et de respect.
En 1516, Thomas Moore, premier auteur du genre, baptise l’île où se situe l’action Utopia, ce qui, en grec, signifie « en aucun lieu ». Un aveu du caractère idéal du programme politique.
Puiser son engagement dans la fiction ?
« On manque aujourd'hui d’utopies collectives, de projets à mettre en œuvre en commun. Le “monde d’après”, qui y croit ? , ironise Stéphanie Roza. La mode est plutôt à l’apocalypse et à la dystopie qu’à l’utopie continue la chercheuse, avec les déplorations angoissées, les bilans du Giec et les scenarii catastrophes. On alarme sur les dangers à venir alors qu’au XVIIIe siècle, la Révolution Française, c'était au départ un espoir. » Optimiste ou pessimiste, la science-fiction concentre les lectures des 15-24 ans. Et c’est là qu’on trouve aujourd’hui le plus d’alternatives à la société. La future génération puisera-t-elle son engagement politique dans la fiction ?
Mais les utopies ne sont pas toutes irréalisables, si l’on en croit leurs auteurs. Leurs propositions constituent une alternative à la société.
2. Diffuser son idée
L’art en général, et le roman en particulier, permettent de toucher un public qui ne lit pas d’essais politiques. Conscients de la complexité de leurs écrits, des essayistes optent eux-mêmes pour l’utopie littéraire afin de toucher un autre lectorat.
L’utopie est particulièrement populaire au milieu du XVIIIe siècle, mais les auteurs en veulent toujours plus et innovent sans cesse. Gracchus Babeuf, autoproclamé révolutionnaire utopiste puis guillotiné en 1797, a largement utilisé la presse. Morelly, lui, deux ans après sa Basiliade, publie une sorte de guide d’application intitulé Code de la nature.
À force de médiation, ces œuvres ont participé à la prise de conscience populaire au moment de la Révolution Française, selon Stéphanie Roza, philosophe politique. D'autres méthodes de diffusion existent. Emmanuel Dockès imagine par exemple des lieux d’échange où tous les militants pourraient se retrouver, débattre et convaincre. Il l’a lui même expérimenté en étant invité sur les ronds points des Gilets Jaunes, un an après la parution de son livre Voyage en Misarchie (2017).
3. Convaincre et mobiliser ses partisans…
L'école est le lieu privilégié pour convaincre.
« L’éducation se fait toujours l’écho des idéologies dominantes du moment »Côme Simien
Spécialiste de l’école révolutionnaire.
« En 1848, des manuels de morale républicaine sont diffusés pour convaincre les hommes électeurs de voter contre la monarchie », rappelle Jean-Charles Buttier, enseignant-chercheur en didactique de l’histoire. Les libertaires de l’époque ont pourtant plus l’habitude de la grève générale que du vote. L’urne apparaît comme une solution plus pacifique mais elle n’est efficace que si le peuple s’approprie l’information pour basculer vers la nouvelle société.
« La vraie démocratie n’est pas affaiblie par le consensus », assure Emmanuel Dockès. « Les décisions qui en résultent, quand elle est véritablement appliquée, sont beaucoup plus radicales que celles des partis politiques. Preuve en est, récemment, avec la convention citoyenne. »
4. … Ou imposer ?
Par peur du consensus et pour éviter la demi-mesure, certains utopistes envisagent de passer, au moins provisoirement, par la dictature.
« La transition se fait dans la douleur pour tous les gens impatients de voir les choses changer »Stéphanie Roza,
Philosophe politique, s’appuyant sur la Terreur de Robespierre.
« C’est une idée qui traîne toujours aujourd’hui chez ceux qui cherchent un Churchill de l’écologie nous promettant du sang de la sueur et des larmes. La tentation existe de passer en force au nom d'un l'intérêt général supérieur. » À l'extrême, on pourrait considérer les terroristes comme des utopistes extrémistes, qui ne s'embarrassent pas de l'approbation populaire.
Les expérimentations sociales du XIXe siècle entendent imposer un modèle innovant par… l'évidence démontrée par l'exemple.
Robert Owen, père du socialisme utopique, s’y est frotté, en 1799. Cet industriel philanthrope a érigé une coopérative dans le village ouvrier New Lanark en Écosse, avec habitations, magasin à bas prix et électricité, ainsi que l’éducation gratuite aux jeunes enfants. De cette expérience, naîtra l’école primaire en Grande-Bretagne. Pour autant, dans sa globalité, l’expérimentation a été un échec. L’utopie a du mal faire durer le modèle dans le temps. Même Zeinzemin, l'empereur de la Basiliade de Morelly, finit par douter de l’intégrité de son propre peuple.
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