Le 20 janvier, lors de la cérémonie de voeux aux Armées, Emmanuel Macron a annoncé une augmentation de 100 milliards d'euros les dépenses pour la défense nationale pour les années 2024 à 2030 par rapport à la période précédente (2019-2025). Le budget moyen des armées devrait donc s'élever à 57 milliards d'euros par an et renforcer considérablement le potentiel militaire français.
La France est déjà l’un des rares pays au monde à pouvoir équiper intégralement son armée, de manière quasi autonome. Les évolutions récentes obligent toutefois à lancer une réflexion sur l’avenir de ce secteur. Mais entre augmentation des coûts des matériels modernes, volonté de souveraineté et capacités productives, des choix doivent être faits, d’autant plus que le retour de la guerre à haute intensité sur le sol européen bouleverse les orientations stratégiques.
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Au-delà de la sécurité, l’enjeu économique est d’importance : les industries de défense emploient directement ou indirectement 200 000 personnes dans 2 000 entreprises pour environ 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La France est le troisième exportateur mondial derrière les États-Unis et la Russie.
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L’aiguillon de la défaite de 1870
Les industries françaises d’armement trouvent leur origine dans les arsenaux royaux et les manufactures d’armes développés à partir du XVIIe siècle, en particulier sous l’influence de Colbert. Les arsenaux fournissent les armées, de l’Ancien Régime à l’Empire.
Les grandes écoles comme Polytechnique dotent le pays des ingénieurs nécessaires et la France est le premier État à standardiser ses productions : fusils modèle 1776 ou canons de Gribeauval sont produits en masse. Après 1815, la conscription fonde une doctrine militaire assise sur le nombre et les coûts d’armement restent faibles (4 % des dépenses militaires entre 1820 et 1860). Les guerres sont rares et la colonisation ne réclame pas de grands moyens.
Le basculement intervient après la défaite de 1870. Les lacunes de l’armée impériale et l’ambition de la revanche poussent à la modernisation.
De nouveaux acteurs font leur apparition. Il s’agit des « marchands de canons et des maîtres de forges ». Les entreprises du Comité des Forges comme Schneider, de Wendel, la société des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt et celle de Decazeville sont les principales pourvoyeuses de matériel et de produits de base pour les manufactures et les arsenaux publics. La loi Farcy de 1885 les encourage à exporter pour contrer les Anglais et les Allemands.
La Grande Guerre constitue un tournant. Elle pousse à une intense coopération entre l’État, ses outils de production et les fournisseurs privés. Le Comité des forges, le Consortium pétrolier et Kuhlmann jouent un rôle majeur. La guerre accélère aussi le développement d’entreprises comme Renault ou Berliet, qui obtiennent des commandes publiques.
Enfin, de la guerre naît l’aéronautique, avec des firmes comme Hispano-Suiza, Bréguet ou SPAD. En 1918, la France est le premier producteur mondial d’avions.
Brandt, Renault, Manurhin, Schneider…
Entre les deux guerres, les dépenses militaires restent soutenues. Les commandes butent toutefois sur le vieillissement de l’outil industriel et le peu d’entrain des entreprises pour l’investissement dans de nouveaux équipements. C’est ce qui pousse à une transformation radicale de l’industrie d’armement.
En 1935, les grands arsenaux sont regroupés au sein de la Direction des études et fabrications d’armement (DEFA), puis le gouvernement du Front populaire nationalise les activités militaires des grandes firmes qui sont transformées en ateliers d’État : c’est le cas de Brandt, Renault, Hotchkiss, Manurhin et Schneider.
Dans l’aéronautique, les principales firmes sont nationalisées et deviennent des Sociétés nationales de construction d’avions (SNCA). Cela n’empêche toutefois pas la défaite de 1940.
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Les euro-coopérations dans l’impasse
Depuis les années 1950, les gouvernements ont relancé des programmes nationaux et encouragé les coopérations internationales.
La France maintient une armée « complète » : les commandes publiques sont essentielles, mais il a fallu rationaliser. Les grands arsenaux terrestres (AMX, APX…) ont été regroupés au sein du Groupement industriel des armements terrestres (GIAT), en 1971, qui est ensuite devenu Nexter ; les constructions navales ont été regroupées au sein de la Direction des constructions navales (DCN, maintenant Naval Group).
L’avionneur Dassault a, depuis les années 1960, le statut de fournisseur quasi unique des avions de combat avec de remarquables succès à l’export dont celui de la famille Mirage, des années 1960 aux années 2000, puis le Rafale, dans les années 2010.
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Aujourd’hui, l’industrie s’organise autour de quelques entreprises qui structurent un ensemble associant concepteurs de systèmes d’armes, équipementiers, sous-traitants et établissements de recherche.
Ils produisent des systèmes qui arment la défense française – canons Caesar, char Leclerc ou Rafale. Le coût croissant des matériels et les réductions budgétaires depuis la fin de l’URSS favorisent les évolutions.
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La première est de renforcer la vocation exportatrice qui permet d’allonger les séries. Cela fonctionne avec le Rafale depuis 10 ans.
L’autre piste, politiquement complexe, est le renforcement des coopérations européennes. Outre le fait que bien des armées de l’UE optent pour des matériels américains, la question des maîtrises d’œuvre et des transferts de technologie complique la coopération, par exemple franco-allemande sur les projets Système de combat aérien du futur (SCAF, voué à remplacer le Rafale et les Eurofighters) et sur la mise au point du futur char de combat.
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Seule certitude, la force de dissuasion restera 100 % française : les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et leurs missiles nucléaires stratégiques M51 ne sont destinés qu’à notre propre défense.