Sans même nous en rendre compte, nous ne cessons d’accorder notre confiance aux personnes qui nous entourent, quand bien même il s’agit d’inconnus.
Par exemple, lorsque nous prenons un taxi, il ne nous viendrait pas à l’esprit de contrôler si le chauffeur possède bien son permis de conduire. Il en va pourtant de notre sécurité !
De même, vous n’exigez probablement pas d’examiner les diplômes du médecin qui s’apprête à vous prescrire un traitement. Qu’est-ce qui vous assure cependant qu’il ne s’agit pas d’un escroc ayant usurpé son titre médical ?
Réduire la complexité de la vie sociale
Selon le sociologue Niklas Luhmann, la vie en société serait impossible si les individus n’entretenaient pas un sentiment minimum de confiance spontanée à l’égard des autres, ainsi qu’à l’égard des institutions.
La confiance remplit une fonction indispensable pour l’individu : elle réduit la complexité perçue de son environnement social1.
Pour le comprendre, revenons à notre exemple du chauffeur de taxi. Il n’est évidemment pas impossible que le conducteur de la voiture dans laquelle je monte n’ait jamais obtenu son permis de conduire et que ma sécurité s’en trouve menacée.
Il est également possible qu’il s’agisse, en réalité, d’un tueur en série se faisant passer pour un chauffeur de taxi afin de piéger ses victimes. En fait, une infinité de scénarios plus ou moins plausibles peut toujours être imaginée pour chacune des situations sociales dans lesquelles nous nous engageons.
Telle est la complexité de la vie sociale : son cours est largement imprévisible.
Faire confiance aux autres, c’est partir du principe qu’ils se comporteront dans le futur comme ils l’ont fait jusqu’à présent ou, lorsqu’il s’agit d’inconnus, comme ils devraient le faire en fonction de ce qu’ils sont socialement (par exemple, un chauffeur de taxi est supposé savoir conduire son véhicule).
Autrement dit, quand nous sommes en confiance, nous mettons entre parenthèses l’imprédictibilité de la vie sociale et imaginons que les choses se dérouleront telles qu’elles sont censées le faire selon notre expérience et selon les normes en vigueur.
Sans cette confiance, nous serions dans un état d’inquiétude permanente qui empêcherait toute action sociale (voir encadré). Il en va de même pour ce qui est de la confiance latente que nous faisons habituellement aux institutions sociales.
Si vous n’accordiez pas votre confiance à l’institution que constitue l’argent, par exemple, jamais vous n’accepteriez de travailler en échange d’un salaire en espèces. Vous exigeriez d’être rétribué en nature. Ce faisant, vous vous retrouveriez exclu du système d’échange reposant sur l’usage de la monnaie. Il vous faudrait donc revenir au troc – ce qui nécessiterait néanmoins que vous accordiez votre confiance aux personnes avec lesquelles vous faites affaire !
La confiance épistémique
Un autre aspect de la vie sociale où la confiance joue un rôle central : l’acquisition de connaissances. La plupart des choses que nous savons ou pensons savoir ne proviennent pas de nos propres sens, mais du témoignage d’autrui (parents, enseignants, médias, etc.).
Si, comme saint Thomas, nous ne croyions que ce que nous voyons, notre stock de connaissances demeurerait ridiculement mince. Il nous faut donc inévitablement faire confiance aux autres et apporter un certain crédit à leurs dires pour en apprendre davantage sur le monde que ce que nous en savons par notre seule expérience.
Cette confiance, qualifiée d’épistémique (terme désignant ce qui relève du savoir), n’est cependant pas aveugle. En effet, nous sommes naturellement équipés d’un ensemble de mécanismes mentaux qui « filtrent » les informations provenant d’autrui2.
Ces filtres cognitifs ne laissent passer que les informations les plus vraisemblables en fonction de nos connaissances préalables et des personnes qui nous les transmettent. Une telle « vigilance épistémique » s’observe chez les jeunes enfants déjà.
Des expériences ont par exemple montré que, dès l’âge de 3 ans, ceux-ci accordent davantage leur confiance épistémique à des personnes visiblement mieux informées qu’eux-mêmes3, tout comme ils font plus confiance aux individus qui se sont montrés fiables par le passé qu’à ceux qui leur ont déjà transmis des informations erronées4.
Aux institutions de maintenir ou de restaurer leur crédibilité
La confiance étant nécessaire à la vie en société et à l’acquisition de connaissances, on ne peut que s’inquiéter de constater que le niveau de confiance de nos concitoyens en nombre d’institutions, dont les médias, soit aujourd’hui extrêmement faible5.
Cette situation se traduit par un renforcement des populismes, car ils se proposent eux aussi de réduire la complexité sociale en désignant des boucs émissaires censés être à la source de tous nos problèmes. Il appartient aux institutions concernées de retisser un lien de confiance avec les citoyens en tenant compte de ceux de leurs agissements qui ont pu nuire à leur crédibilité.