En 1894, Émile Durkheim affirmait que le sociologue se doit d’expliquer les phénomènes sociaux par des variables sociales et non pas par des facteurs psychologiques ou biologiques. Cette règle a souvent été transgressée par les sociologues au cours de l’histoire de la discipline, à commencer par Durkheim lui-même, dans certains de ses travaux.
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Aujourd’hui, l’interdisciplinarité attire de nombreux chercheurs en sciences sociales, qui essayent par exemple d’articuler sociologie et sciences cognitives. D’autres vont plus loin, puisqu’ils défendent l’idée que la génétique pourrait nous aider à mieux comprendre des différences de comportement et de parcours social entre les individus.
Études de jumeaux
Cela fait déjà des dizaines d’années que des scientifiques mobilisent une méthode appelée « études de jumeaux » pour essayer de déterminer le rôle joué par les gènes des individus dans leurs comportements sociaux ou dans la possession de certains traits psychologiques, comme le niveau d’intelligence ou d’attirance pour les comportements risqués, par exemple.
Cette méthode consiste à comparer le degré de similarité d’un tel trait entre de « vrais » jumeaux à celui que l’on observe entre de « faux » jumeaux. Les vrais jumeaux sont quasi identiques génétiquement, tandis que les faux jumeaux n’ont en commun que la moitié environ de leur matériel génétique.
Dès lors, si le trait étudié est plus similaire entre les vrais jumeaux qu’il ne l’est entre les faux jumeaux, c’est qu’il est influencé par les gènes des individus. En d’autres termes, ce trait est « hérité » génétiquement et ne résulte pas uniquement des expériences de vie et de socialisation des individus.
Les méthodes utilisées aujourd’hui pour établir l’héritabilité de certaines caractéristiques psychologiques ou sociales des individus sont plus directes.
Les chercheurs décodent l’intégralité du matériel génétique des participants à leurs études et recherchent la présence de corrélations statistiques entre des groupes de gènes et certaines caractéristiques psychologiques ou sociales de ces personnes.
Selon ses promoteurs, le recours à la génétique en sciences sociales – que ce soit au moyen des études de jumeaux ou des méthodes statistiques plus récentes – donnerait d’ores et déjà des résultats sur de nombreuses caractéristiques sociales et psychologiques.
Ces résultats montreraient en effet que « les différences entre les individus en termes de personnalité, de niveau d’éducation, de revenus, de tolérance au risque, de bien-être, de choix professionnel, de prise de décision financière, d’idéologie politique […] sont toutes affectées d’une manière ou d’une autre par des différences dans la variation de leurs séquences d’ADN héritées ».
Des mécanismes de causalité encore opaques
Est-ce à dire que la sociologie est appelée à être progressivement remplacée par la génétique ? Assurément pas. En effet, la génétique appliquée aux sciences sociales n’établit pour le moment que des corrélations statistiques entre des ensembles de gènes et la variance de certaines propriétés sociales des individus.
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Elle ne dit rien des mécanismes causaux qui lient les gènes à ces propriétés. Il faut donc rester prudent quant à la confiance qu’on peut avoir en ces corrélations.
De plus, la part d’un phénomène qu’expliquent les gènes est souvent modeste et dépasse rarement ce qu’expliquent des facteurs proprement sociaux. Par exemple, des études suggèrent que les gènes pourraient expliquer 11 % environ de la variance entre individus du nombre d’années d’études qu’ils feront dans leur vie.
Le revenu de la famille explique quant à lui 6 % de cette variance, et le niveau d’études des parents en explique 19 %. Finalement, la sociologie a pour ambition d’expliquer des phénomènes qui dépassent les seules variations interindividuelles de certaines propriétés.
Or, il est peu probable que la génétique ait beaucoup à nous dire sur ces questions. Si elle va peut-être pouvoir éclairer des aspects particuliers de phénomènes sociaux donnés, elle ne condamnera évidemment pas la sociologie à disparaître.