La thèse de Lewis Lorwin
Nous avons tant insisté aux États-Unis sur la nécessité du changement pour le changement, de l’accélération pour l’accélération, qu’il semble que nous soyons aujourd’hui à bout de souffle, ou tombés dans le fossé.
Dans une telle économie non planifiée comme l’a été la nôtre, où les facteurs de changement sont nombreux et les résultantes sont les effets d’innombrables choix et décisions individuels, le changement semble destiné à s’accroître, sans une augmentation correspondante de notre capacité de prévoir.
La planification nous offre la possibilité de contrôler le rythme du changement économique et social. Mais cela ne signifie pas que ce procédé vise à saper nos énergies ou à limiter nos perspectives […].
Il existe différents types de planification, en fonction à la fois des objectifs visés et des institutions conçues ou proposées pour les atteindre.
En gros, on peut distinguer le type socialiste d’État, illustré par la Russie soviétique ; le type fasciste annoncé en Italie ; le type business, qui est préconisé, aux États-Unis et ailleurs, par les industriels et les financiers ; enfin, le type social progressiste [que je recommande] et qui, s’appuyant sur les traditions et les institutions de la démocratie, nous propose une nouvelle conception des moyens et des fins de la vie économique, et de nouvelles méthodes pour promouvoir une croissance régulière dans les niveaux de vie […].
La thèse de Lewis Lorwin
Nous avons tant insisté aux États-Unis sur la nécessité du changement pour le changement, de l’accélération pour l’accélération, qu’il semble que nous soyons aujourd’hui à bout de souffle, ou tombés dans le fossé.
Dans une telle économie non planifiée comme l’a été la nôtre, où les facteurs de changement sont nombreux et les résultantes sont les effets d’innombrables choix et décisions individuels, le changement semble destiné à s’accroître, sans une augmentation correspondante de notre capacité de prévoir.
La planification nous offre la possibilité de contrôler le rythme du changement économique et social. Mais cela ne signifie pas que ce procédé vise à saper nos énergies ou à limiter nos perspectives […].
Il existe différents types de planification, en fonction à la fois des objectifs visés et des institutions conçues ou proposées pour les atteindre.
En gros, on peut distinguer le type socialiste d’État, illustré par la Russie soviétique ; le type fasciste annoncé en Italie ; le type business, qui est préconisé, aux États-Unis et ailleurs, par les industriels et les financiers ; enfin, le type social progressiste [que je recommande] et qui, s’appuyant sur les traditions et les institutions de la démocratie, nous propose une nouvelle conception des moyens et des fins de la vie économique, et de nouvelles méthodes pour promouvoir une croissance régulière dans les niveaux de vie […].
La planification économique diffère à la fois du laisser-faire et du capitalisme d’entreprise régulé, notamment en ce qui concerne l’orientation économique.
Au lieu de permettre à chaque entreprise d’être une loi en soi, la planification exige que toutes les unités pensent en termes d’objectif économique général. Au lieu d’essayer de contrôler les opérations des entreprises par des règles négatives et non coordonnées, la planification suggère un système positif et interdépendant de fonctions et d’objectifs clairement conçus et exécutés.
La planification technique est une autre façon de nommer la gestion scientifique au sein des usines et des entreprises individuelles. C’est un sous-ensemble de la planification économique, fournissant les méthodes nécessaires à une production efficace au sein de chaque unité économique.
La planification industrielle se limite à coordonner l’offre et la demande dans un domaine spécialisé de l’activité économique [car] la rationalisation laisse sans réponse la question de la coordination des différentes industries.
“The Origins of Economic Planning”, Lewis L. Lorwin, The Survey, 1932
Qui suis-je ?
Sociologue et économiste du travail américain, Lewis L. Lorwin (1883-1970) a fréquenté l’Université Columbia et la Brookings Institution. Planificateur social, il a participé au New Deal de Roosevelt ainsi qu’à la rédaction du plan Marshall. Critiqué durant la période maccarthyste, il dut démissionner en 1952 de son poste de directeur de l’US Office of International Trade.
L'analyse de Yann Giraud, Professeur à CY Cergy Paris Université
Ce texte de l’économiste américain Lewis Lorwin mérite qu’on le replace dans son contexte. Publié dans The Survey, un magazine destiné à un public éduqué de travailleurs sociaux, il est caractéristique d’une pensée qui se développe fortement dans l’entre-deux-guerres, au croisement de l’économie, de la philanthropie et d’une partie du monde des affaires.
Le constat que font ces intellectuels et acteurs de la société est qu’ils viennent de vivre une deuxième révolution industrielle, marquée par un progrès technologique conséquent et une forte concentration des entreprises.
L’avènement de la grande entreprise – illustré par la toute-puissante compagnie automobile Ford – représente une nouvelle manière de rationaliser l’outil de production, de même qu’il offre aux travailleurs américains des perspectives de hausse de leurs revenus.
Bien que relativement peu sophistiqués dans leur manière de théoriser cette évolution, les économistes qui, comme Lorwin, voient dans l’avènement de ce type d’entreprise autant d’opportunités que de menaces, présagent ce que dira ultérieurement Ronald Coase : la firme commence là où le marché s’arrête.

Si ce dernier se caractérise par un système décentralisé de fixation des prix, basé sur l’offre et la demande, la firme, elle, est un lieu où s’exerce une coordination soigneusement planifiée par le chef d’entreprise, grâce notamment aux techniques de management scientifique introduites par l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor. Ces dernières ont permis de produire plus, de manière standardisée et avec moins de perte.
Analyse des effets pervers du Taylorisme
Comment ce mécanisme vertueux pour l’entreprise a-t-il pu provoquer la crise économique la plus grave connue par le monde moderne ? Pour Lorwin, ainsi que pour de nombreux économistes « institutionnalistes » de la période – que l’on retrouve pour partie à l’Université Columbia autour de Rexford Tugwell –, c’est parce que cette planification, qui marche pour une entreprise ou un secteur industriel, n’a pas été suffisamment élargie à l’économie dans son ensemble.
Pour ce faire, il faut étendre le management scientifique de la firme à l’ensemble des branches industrielles tout en les liant à un objectif social, déterminé par un planificateur bienveillant qui travaillerait pour le bien commun et avec respect de la démocratie.
Si ce type de planification économique s’oppose clairement au « laisser-faire » des libéraux, il n’entend pas, contrairement à la planification socialiste qui s’impose en Union soviétique, renier le capitalisme, mais bien au contraire, s’appuyer sur les techniques les plus récentes développées en son sein pour promouvoir une forme d’ingénierie sociale progressiste.
Soutenu par des hommes d’affaires et des capitaines d’industrie, ce projet de planification trouvera sous Roosevelt, élu en novembre 1932, un écho favorable. Son administration, auquel Lorwin participera, s’efforcera de le mettre en place. C’est d’ailleurs à ces « planificateurs », et non pas seulement aux Keynésiens, que Friedrich Hayek adressera ses critiques dans La Route de la servitude (1944).
Quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette histoire pour le présent ? À l’heure où on reparle de « planification », écologique cette fois, il convient sans doute de se demander si elle n’est qu’une création intellectuelle, qui serait imposée par un État omnipotent, ou si, tel le New Deal, elle peut aussi s’appuyer sur les innovations développées dans le monde de l’entreprise et plus largement dans la société civile. L’avenir le dira.