“La pensée économique sur la pauvreté n’est pas bouleversée par Esther Duflo,la méthodologie, si”
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En 70 ans, la pauvreté est devenu un véritable sujet de recherche - et de bataille idéologique. D'abord cantonnée aux indicateurs macroéconomique comme le PIB, son étude est métamorphosée par Amartya Sen. L'économiste Indien exhorte à prendre en compte les domaines de la santé ou de l'éducation afin de comprendre ce fléau mondial qui touche 736 millions de personnes. Pour Catherine Bros, docteure à l’université Paris 1, les trois lauréats du Prix Nobel 2019 Esther Duflo, Michael Kremer et Abhijit Banerjee s'inscrivent dans l'héritage de l'illustre Indien, tout en proposant une méthode de recherche novatrice, mais non sans limites.
Pour l’Éco. Comment la pensée économique contemporaine a-t-elle considérée la question de la pauvreté ?
Catherine Bros. Jusque dans les années 70, la vision dominante de l’économie s’est surtout intéressée à la pauvreté d’un point de vue macroéconomique ; elle était seulement définie et mesurée à travers des indicateurs comme le PIB par habitant ou le seuil de pauvreté. Cette approche globale était dominée par les théories de la croissance, de la concurrence et du développement entre les pays.
Dans les années 90, les travaux de l’économiste Amartya Sen (voir son portrait dans notre galerie) provoquent un tournant majeur de la pensée économique contemporaine. Celui qui fut Prix Nobel d’économie en 1998 pour « sa contribution à l'analyse du bien-être économique » et ses travaux sur l'origine des famines a véritablement métamorphosé la vision académique de la pauvreté. Il y a véritablement un avant et un après Amartya Sen.
Pourquoi ?
Ses travaux ont redéfini la pauvreté dans son aspect multidimensionnel, ouvrant des champs de l’analyse économique à des domaines jusqu’alors inexplorés : l’éducation, la santé…L’économiste et philosophe Indien a introduit la notion de « capabilités » : l’égalité des moyens doit être assurée pour l’individu, au même titre que l’égalité des possibilités effectives d’accomplir ses actes.
Pour l’Éco. Comment la pensée économique contemporaine a-t-elle considérée la question de la pauvreté ?
Catherine Bros. Jusque dans les années 70, la vision dominante de l’économie s’est surtout intéressée à la pauvreté d’un point de vue macroéconomique ; elle était seulement définie et mesurée à travers des indicateurs comme le PIB par habitant ou le seuil de pauvreté. Cette approche globale était dominée par les théories de la croissance, de la concurrence et du développement entre les pays.
Dans les années 90, les travaux de l’économiste Amartya Sen (voir son portrait dans notre galerie) provoquent un tournant majeur de la pensée économique contemporaine. Celui qui fut Prix Nobel d’économie en 1998 pour « sa contribution à l'analyse du bien-être économique » et ses travaux sur l'origine des famines a véritablement métamorphosé la vision académique de la pauvreté. Il y a véritablement un avant et un après Amartya Sen.
Pourquoi ?
Ses travaux ont redéfini la pauvreté dans son aspect multidimensionnel, ouvrant des champs de l’analyse économique à des domaines jusqu’alors inexplorés : l’éducation, la santé…L’économiste et philosophe Indien a introduit la notion de « capabilités » : l’égalité des moyens doit être assurée pour l’individu, au même titre que l’égalité des possibilités effectives d’accomplir ses actes.
Ce concept a décapé la notion de pauvreté. Preuve de son caractère révolutionnaire, les organismes internationaux (Nations Unies, Banque mondiale) ont adopté sa définition. S’ouvre alors une nouvelle ère pour l’économie du développement, avec une emphase sur des déterminants microéconomiques, centrées autour de l’attitude des individus.
Théorie développée par l'économiste Amartya Sen : les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources mais de leurs capacités à les convertir en libertés réelles.
Quels sont les apports des trois lauréats du dernier “Prix Nobel” d’économie Esther Duflo, Michael Kremer et Abhijit Banerjee(portraits dans la galerie des économistes) ?
La contribution des trois lauréats est surtout méthodologique. Leur analyse n’a pas beaucoup dévié des recherches précédentes. Le trio s’inscrit dans l’héritage de Sen et de sa vision de la pauvreté. Leurs travaux sont toutefois différents et novateurs dans l’attaque du sujet.
Ces auteurs ont fait le choix de rester à l’écart d’une grande bataille idéologique dont l’objet porte sur la conception de l’aide mondiale au développement. Pour un camp, la trappe à pauvreté (la pauvreté d’aujourd’hui s’explique par la pauvreté d’hier et elle engendrera la pauvreté de demain) maintient les gens dans celle-ci. Pour les en sortir, il faut un “big push”, c’est-à-dire une aide financière massive envers les pays en développement. Pour l’autre camp, cette méthode est inefficace à cause de la faiblesse des institutions de ces Etats. L’argent sera capté par des élites corrompues et ne permettra pas le développement pays. La solution, pour eux, est de libéraliser les marchés.
Abhijit Banerjee et Ester Duflo se sont abstraits de ce débat théorique et idéologique pour se focaliser sur l’expérimentation. L’objectif : étudier concrètement quelles sont les politiques sociales efficientes. L’économiste franco-américaine explique, de façon marquante, sa méthode, dans un Ted Talk :
“Au XXe siècle, les essais comparatifs aléatoires ont révolutionné la médecine en permettant de voir les traitements qui marchent et ceux qui ne marchent pas. Nous appliquons la même chose en économie du développement”.
Ce Nobel va-t-il consacrer leur approche dans l’étude de la pauvreté ?
Le prix Nobel d'économie récompense de nombreuses années de travail. L’économie expérimentale, mise en avant par ces chercheurs, est en plein essor depuis 10-15 ans. L’expérimentation est utilisée en très grande quantité depuis des années.
Des voix s’élèvent désormais pour dire que le soutien à l’économie expérimentale a été trop fort. Ses contempteurs regrettent son absence de théorie, d’analyse, d’explications des mécanismes.
Par exemple, les groupes de tests - au coeur de leur approche - permet, certes, de constater les différences produites par les essais. Mais il est impossible de savoir comment ont aboutit à ces résultats. Il y a aussi un problème de mise à l’échelle : comment savoir qu’une politique efficace localement sera efficiente à l’échelle d’un pays ?
Enfin, l’expérimentation, c’est aussi une méthode de recherche très onéreuse, qui assèche le reste de la recherche et peut discriminer certains laboratoires ayant moins de moyens.
Finalement, la reconnaissance par le Nobel de cette méthodologie de recherche pourrait paradoxalement replacer l’économie expérimentale à une place moins prépondérante, sans toutefois remettre en cause son utilité.