Une exploration de la science économique de demain
La transition numérique conduira-t-elle à une révolution de la science économique ? La question mérite d’être posée, si l’on se souvient que l’économie s’est constituée comme science dans un contexte particulier – le début de la révolution industrielle – et que ses grands moments théoriques (Keynes, Samuelson) correspondent à des inflexions significatives de l’économie réelle – crise ou nouveau régime de croissance.
Or à l’évidence, nous vivons un de ces moments, redoublé par le fait que la transition numérique révolutionne à la fois les outils de l’économie et les phénomènes qu’elle cherche à mesurer. Le big data, le deep learning et, plus largement, l’intelligence artificielle, ont commencé à bouleverser nos façons de produire, d’échanger, de mobiliser le capital humain et financier. De la même façon, ces outils permettent de nouvelles lectures des énormes masses de données qui reflètent notre activité.
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L’ouvrage de Diane Coyle, professeure à Cambridge, est une tentative d’explorer cette « science économique de demain », avec comme ambition de permettre à la discipline de décrire efficacement les changements en cours pour donner des outils aux décideurs. Le thème principal du livre est une critique en règle du « sujet » humain tel que le représente l’économie classique : un cog, un rouage, dans une machine qui serait la société. Cet être rationnel, indépendant, calculateur et intéressé interagit avec les autres rouages dans des contextes bien définis.

Or cette figure de fiction, critiquée depuis longtemps pour son caractère simplificateur, achève aujourd’hui de perdre toute signification dans le contexte de l’économie numérique : celle-ci est bien plus caractérisée par des « monstres », des inconnus autonomes qui ont tendance à se coaliser malgré eux et dont les comportements sont soumis à de multiples influences. En traitant les gens comme des cogs, l’économie crée ses propres monstres et se prive ainsi des outils nécessaires pour comprendre les nouveaux problèmes auxquels elle est confrontée.
Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be, Diane Coyle, Princeton University Press, 240 p., 23 €
Affronter le spectre de la stagnation
Entre l’homme de la demande (Keynes) et celui de l’offre (Schumpeter), l’économie moderne a trouvé ses deux pôles. Le premier insiste sur le pouvoir entraînant de la consommation, le second sur la valeur de l’innovation et le rôle de l’entrepreneur. Notre monde est placé sous leur double patronage.
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Mais leurs disciples s’entendent mal. Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur proposent donc de les « réconcilier » pour affronter un ennemi commun : le spectre de la stagnation, résultat de technologies dont l’impact ne produit plus de croissance économique. Un nouveau modèle de croissance doit donc s’inventer. Il passe en particulier par une nouvelle répartition des revenus entre jeunes et seniors, entre emplois qualifiés et non qualifiés, et par de nouveaux modèles d’investissements.
La Grande Rupture. Réconcilier Keynes et Schumpeter, Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur, Odile Jacob, 208 p., 21,90 €
Une « longue marche vers l'égalité »
Thomas Piketty s’est fait connaître il y a 20 ans avec une remarquable synthèse sur les hauts revenus en France, qui montrait comment, après 1914, les effets conjugués de l’inflation et de la fiscalité avaient limité les inégalités.

Dans son best-seller Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), il s’intéressait au contraire à leur essor, en décrivant la course perdue des revenus du travail par rapport à ceux du capital (à l’échelle du monde). Dans son nouvel opus, il retrouve sa première veine, en décrivant une « longue marche vers l’égalité » dont le meilleur est à venir. Un livre d’histoire et de prospective, dont on recommandera la lecture, car autant le Piketty médiatique est souvent caricatural, autant ses livres sont nuancés et précis.
Une brève histoire de l’égalité, de Thomas Piketty, Seuil, 368 p., 14 €
Comment les rapports entre la Chine et l'Occident ont façonné l'économie
En géopolitique, l’expression « grand découplage » décrit la divergence entre l’Occident et une Chine qui, ne se contentant plus d’être l’usine du monde, aspire à la primauté et développe un système technologique et économique de plus en plus autonome.

L’expression avait d’abord été utilisée dans l’autre sens, par l’historien Kenneth Pomeranz, dans son analyse du moment où l’Occident a doublé l’Orient, l’Angleterre de la révolution industrielle laissant sur place une Chine abasourdie. Dans le contexte actuel, la réédition en poche de ce livre paru en 2010 est une excellente nouvelle.
Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale, Kenneth Pomeranz, Albin Michel, 880 p., 15 €