Le 7 mai dernier, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites devant le siège du parti Renaissance, des manifestants et des élus ont scandé : « Louis XVI, on l’a décapité, Macron, on peut recommencer ! ».
Inspiré par le « populisme de gauche » et la théorie de la « démocratie agonistique », le chef de La France Insoumise invoque de son côté, depuis le mouvement des « gilets jaunes », « l’insurrection » et la « révolution citoyenne » et il multiplie les références laudatives à la Révolution française.
En 2021, Juan Branco publiait Abattre l’ennemi, dans lequel il propose « un programme révolutionnaire incluant la création de tribunaux d’exception ». Quelques années plus tôt, Frédéric Lordon, économiste militant inspirateur du mouvement Nuit Debout, déclarait : « Nous n’apportons pas la paix, nous n’avons aucun projet d’unanimité démocratique […]. S’il n’y a plus d’alternative dans le cadre (politique traditionnel) […], (on) chasse les gardiens du cadre. »
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La violence dans la politique moderne
Ces divers exemples posent la question plus générale de la place, légitime ou non, de la violence dans l’activité politique moderne et font écho à la question posée dernièrement dans un sondage IFOP : « Dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites, êtes-vous d’accord ou pas d’accord avec l’affirmation suivante : “Il est parfois nécessaire de recourir à des actions violentes pour faire avancer sa cause ou ses idées ? ».
Les réponses des Français sondés ont montré qu’elles dépendent de leurs affinités politiques : 60 % des Français proches de LFI et plus d’un tiers des proches d’Europe Écologie-Les Verts, du Parti socialiste et du Rassemblement national, se sont déclarés « en accord » avec cette affirmation, alors que, parmi les sympathisants de Renaissance et des Républicains, seuls 10 % environ le sont.
La légitimité du recours à la violence n’est donc pas seulement fonction du spectre politique gauche-droite, mais aussi d’un ethos transpartisan, que le sociologue Max Weber a explicité dans son opposition entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité ».
Alors que l’action guidée par la première implique le respect inconditionnel d’une valeur considérée comme suprême, plaçant au second plan les éventuelles conséquences sociales délétères de la mise en œuvre de cette valeur, l’éthique de responsabilité prend en compte les conséquences concrètes sur autrui de l’action menée et la nécessité pour le politique d’en répondre.
Quand l’éthique de conviction plonge ses racines dans un idéal, l’éthique de responsabilité impose aux acteurs de composer avec la diversité et la complexité du réel afin de tendre vers l’objectif politique visé. Le recours à la violence peut ainsi être envisagé comme la primauté, chez les acteurs d’une mobilisation sociale, d’une éthique de conviction sur une éthique de responsabilité, puisque la pureté de la fin visée justifie les moyens.
Choc des valeurs
On perçoit donc le paradoxe qui consiste à brandir des valeurs morales fortes (justice sociale, égalité, etc.) et bien souvent légitimes, tout en piétinant, afin de les réaliser, d’autres valeurs tout aussi légitimes (respect des biens et des personnes, démocratie représentative et ses institutions).
Weber fustige ceux « qui n’ont pas réellement conscience des responsabilités qu’ils assument, mais se grisent au contraire de sensations romantiques ». On oublie trop souvent que, s’il a défini l’État contemporain comme une « communauté humain qui revendique le monopole de la violence physique légitime », Weber a immédiatement ajouté que notre époque « n’accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l’État le tolère : celui-ci passe donc pour l’unique source du “droit” à la violence ».
Pour Weber, les hommes politiques des démocraties libérales modernes « cherchent à parvenir au pouvoir sans jamais utiliser autre chose que des moyens raisonnables et “pacifiques” ».
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