En 2015, le parc automobile français était composé, pour presque 70 %, de voitures fonctionnant au gazole. C’est le résultat d’un savoir-faire technique indéniable, de l’entente entre les pouvoirs publics et l’industrie automobile – en particulier Peugeot – et de la volonté des acheteurs de posséder des véhicules sobres quand les prix du pétrole s’envolent, après 1973.
Cette épopée industrielle est aujourd’hui remise en cause. Longtemps adulé, le diesel devient un paria : il sera interdit dans une grande partie des principales agglomérations avec la mise en place des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans les années à venir.
Transport, agriculture, pêche
Le moteur à huile lourde a été mis au point par Rudolf Diesel à la fin du XIXe siècle. Il a été très vite adopté pour la propulsion marine, en particulier les sous-marins, et pour les chemins de fer. Il consomme peu, se contente d’un carburant peu raffiné, mais il est coûteux à fabriquer et nécessite un entretien scrupuleux.
Bien que l’Allemand Mercedes-Benz ait lancé la première voiture diesel en 1936, les voitures d’après-guerre roulent encore toutes ou presque à l’essence, le diesel étant réservé aux poids lourds.
Quelques entreprises se spécialisent dans la production de moteurs, que l’on retrouve sur les navires, les camions, les locomotives ou les engins de terrassement. C’est le cas des Américains Cummins ou Caterpillar ; des Allemands Daimler ou MAN, du Suédois Volvo ou de l’Anglais Ricardo.
Pour les automobiles, le diesel est trop lourd et le rapport poids-puissance est défavorable. Pourtant, Mercedes-Benz et Peugeot vont réussir à imposer ce type de moteur.
En France, le premier modèle commercialisé en 1959 est la 403 Peugeot à moteur Indenor, filiale de Peugeot (société industrielle de l’Est et du Nord). La firme de Sochaux équipe les taxis, qui sont séduits par la faible consommation et par la défiscalisation du gazole décidée par le gouvernement Mendès France en 1954 pour encourager les transports, la mécanisation agricole et le développement de la flotte de pêche. Cet avantage fiscal profite à tous les utilisateurs.
Toutefois, le diesel ne s’impose que dans les années 70. Avec le choc pétrolier, ses avantages prennent corps : la consommation est faible et compense un coût de production plus élevé.
C’est sous l’impulsion de Jacques Calvet, alors P.-D.G. de Peugeot SA, que les ventes décollent. En liaison avec les pouvoirs publics, la production de moteurs se développe. Le calcul de la puissance fiscale est très favorable et comme le diesel est moins cher que l’essence, l’avantage est conséquent.
France et Allemagne en pointe
De plus, les limites techniques sont vaincues : le turbo, puis l’injection haute pression, offrent un confort d’utilisation proche de celui des moteurs à essence. Consommant moins que ces derniers, le moteur diesel est même vanté pour ses effets bénéfiques en matière de pollution. Il émet moins de CO2 et l’invention du filtre à particules semble compenser son principal défaut : l’émission de fumées riches en particules grasses et malodorantes.
PSA est la première entreprise française pour le dépôt de brevets. Les autres constructeurs européens se lancent aussi et les pionniers Daimler-Benz et Peugeot sont rejoints par Renault, Ford, Volvo ou VAG. Même les constructeurs japonais développent leurs modèles alors que le gazole est proscrit dans leur pays.
En France, l’avance technologique dans le diesel compense le retard pris en matière de grosses cylindrées et de véhicules haut de gamme à essence. Il existe tout un écosystème autour du diesel : les moteurs sont produits en France, les équipementiers sont aussi largement français. À l’exception de l’Allemagne, les autres pays sont, en revanche, largement restés fidèles à l’essence. C’est le cas des États-Unis, du Japon, mais aussi de la Grèce.
Du gazole venu de Russie
Les victoires des Audi TDI et Peugeot HDI aux 24 Heures du Mans semblaient annoncer un avenir radieux quand deux facteurs distincts, mais liés, provoquent une remise en question.
Le premier, c’est le réchauffement climatique. Si le diesel possède un avantage en termes d’émissions de CO2, il est pénalisé par les particules fines qui passent au travers des filtres. Le second, c’est le « dieselgate », un scandale industriel et sanitaire qui a pour origine la falsification volontaire des données d’émission des moteurs diesel du groupe Volkswagen.
L’affaire a jeté le discrédit sur ce type de motorisation, avec des effets sur tous les autres producteurs. À court terme, la chute des ventes a des conséquences sur l’emploi, en particulier chez les sous-traitants comme les fonderies ou les fabricants d’injecteurs et de systèmes de régulation. Depuis 2020, plus de 5 000 emplois ont été perdus et cela devrait s’accentuer pour les années qui viennent avec la fin programmée des moteurs thermiques.
L’autre conséquence méconnue du choix du diesel est l’augmentation des importations de gazole : le parc national consomme plus que les raffineries françaises ne produisent, ce qui oblige à importer, avec comme premier fournisseur… la Russie ! Le secteur automobile s’apprête donc à vivre la plus grande mutation de son histoire, électricité et hydrogène semblant crédibles pour remplacer l’essence et le gazole.
Cet article est issu de notre dernier numéro, dont le dossier consacré à l'économie chinoise, disponible sur notre boutique en ligne.