Dans toute société démocratique, il existe des différences socio-économiques plus ou moins marquées entre les personnes.
Pour expliquer ces différences, les sociologues mettent notamment l’accent sur le rôle du milieu social d’origine des individus.
En effet, tant l’environnement socialisateur des enfants que la région dans laquelle ils grandissent influencent statistiquement leurs perspectives socio-économiques.
Effets du milieu socialisateur
La notion de «socialisation» est un concept central de la sociologie. Elle désigne le processus par lequel un individu est conduit à intérioriser les normes, les valeurs, les façons de penser et de se comporter, qui ont cours au sein de son milieu social1.
Les sociologues s’accordent généralement sur le fait que la «socialisation primaire» d’un enfant influence durablement son devenir social. C’est en effet à ce moment-là qu’il acquiert un certain nombre de dispositions qui orienteront pour partie la suite de son existence.
C’est vrai en particulier de son rapport à l’école. Les enfants qui obtiennent de bons résultats scolaires sont plus susceptibles que les autres de décrocher, à terme, un diplôme valorisé sur le marché du travail et, par conséquent, d’accéder un jour à une profession mieux rémunérée que la moyenne.
La réussite scolaire conditionne la réussite socio-économique. En outre, l’attitude que l’enfant adopte à l’égard de l’école joue, dans sa réussite scolaire, un rôle qui est mesurable.
Il a été démontré que les enfants s’engageant fortement dans les activités scolaires –ceux qui participent beaucoup en classe et répondent spontanément aux questions posées par l’enseignant – obtiennent généralement de meilleurs résultats à l’école que les autres2.
Or, l’engagement scolaire est une disposition individuelle qui n’est pas uniformément distribuée d’un point de vue social: les enfants issus de milieux sociaux favorisés sont en moyenne plus engagés scolairement, plus enclins à la prise de parole, que les enfants d’origine sociale modeste3.
La socialisation des premiers les a donc conduits à intégrer une disposition comportementale qui augmente statistiquement leurs chances d’accéder eux-mêmes à l’âge adulte à un statut socio-économique élevé.
Au-delà de l’environnement socialisateur strict d’un enfant, la région dans laquelle il grandit influencera également de façon notable son devenir socio-économique.
Voilà ce que montrent deux études de très grande ampleur menées récemment aux États-Unis par deux économistes de Harvard, Raj Chetty et Nathaniel Hendren4.
Ces chercheurs ont suivi le parcours socio-économique de 24,6 millions d’Américains depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 24 ans ou plus, en étudiant l’ensemble des données fiscales du pays couvrant les années 1996-2012.
Ils ont ainsi pu comparer les trajectoires des individus qui ont changé de région d’habitation durant leur enfance à celles des personnes qui sont restées toute leur enfance dans leur région d’origine.
Il ressort de leurs analyses que le fait de déménager d’une région des États-Unis vers une autre durant l’enfance, peut modifier significativement les perspectives socio-économiques probables d’un individu.
Plus un enfant passe de temps dans une région du pays où le niveau de revenu moyen est supérieur à celui de sa région d’origine, plus il se rapprochera lui-même, une fois adulte, de ce niveau de revenu moyen.
La réciproque est vraie: s’installer durant l’enfance dans une région plus pauvre que sa région d’origine diminue en moyenne le niveau de revenu à l’âge adulte.
Même constat pour d’autres variables, par exemple le niveau d’études atteint. À milieu familial constant, la probabilité pour un enfant d’accéder à des études supérieures est elle aussi, pour partie, fonction de la région des États-Unis dans laquelle il a grandi.
De manière assez surprenante, les chercheurs ont observé qu’il n’y a pas d’âge critique à partir duquel le fait de s’installer dans une région plus ou moins favorisée que sa région d’origine cesserait d’influencer positivement ou négativement les perspectives économiques et scolaires d’un enfant.
Logiquement, les régions des États-Unis ayant un impact bénéfique sont celles où les écoles sont globalement de bon niveau et où le taux de criminalité et les inégalités de revenus sont les plus faibles.
Quels mécanismes causaux concrets?
Le milieu socialisateur des enfants, ainsi que la région dans laquelle ils grandissent, influencent donc leur futur parcours socio-économique.
Il reste cependant encore de nombreuses recherches à mener pour parvenir à déterminer par quels mécanismes causaux concrets l’environnement des individus produit ses effets sur leur devenir social.
On peut par exemple se demander comment les enfants issus de familles favorisées en viennent à intégrer une disposition d’engagement scolaire plus marquée que celle des autres enfants.
De façon générale, il s’agit de mieux comprendre comment des variables environnementales interviennent dans la formation et la transformation des esprits individuels.
Il est fort probable qu’à l’avenir, de telles questions seront abordées par des chercheurs situés à l’interface de la sociologie et des sciences cognitives, dédiées à l’étude du cerveau.