En 2009, l’aéroport d’Amsterdam fait sensation avec… ses urinoirs : ont en effet été collés, au fond de chaque cuvette, des petits autocollants représentant des mouches, incitant les utilisateurs à bien viser, et par là même, à ne pas éclabousser en dehors de l’endroit prévu à cet effet. L’idée aurait permis de faire baisser de 80 % les dépenses liées à leur nettoyage.
En 2017, la SNCF remplace un certain nombre de sens interdits dans les couloirs de ses gares franciliennes par des panneaux « voie sans issue » qui s’avèrent redoutablement efficaces pour inciter les voyageurs à bien respecter le sens de circulation…
Ces petites astuces, de plus en plus utilisées dans les services publics, ce sont les Nudges (coups de pouce, en français). « Leur fonctionnement repose sur le principe de rationalité limitée de l’individu », explique Mickaël Dupré, chercheur en psychologie sociale de l’environnement. Il poursuit :
« Pour faire simple, chacun d’entre nous prend quotidiennement une multitude de décisions. Une minorité d’entre elles sont réfléchies et font appel à la raison, ce qui nécessite du temps et des efforts, mais la majorité est prise de façon automatique et rapide, en fonction de nos intuitions ou de nos émotions… D’où un certain nombre d’erreurs ou de décisions qui sont en fait contraires à nos convictions. »
En 2009, l’aéroport d’Amsterdam fait sensation avec… ses urinoirs : ont en effet été collés, au fond de chaque cuvette, des petits autocollants représentant des mouches, incitant les utilisateurs à bien viser, et par là même, à ne pas éclabousser en dehors de l’endroit prévu à cet effet. L’idée aurait permis de faire baisser de 80 % les dépenses liées à leur nettoyage.
En 2017, la SNCF remplace un certain nombre de sens interdits dans les couloirs de ses gares franciliennes par des panneaux « voie sans issue » qui s’avèrent redoutablement efficaces pour inciter les voyageurs à bien respecter le sens de circulation…
Ces petites astuces, de plus en plus utilisées dans les services publics, ce sont les Nudges (coups de pouce, en français). « Leur fonctionnement repose sur le principe de rationalité limitée de l’individu », explique Mickaël Dupré, chercheur en psychologie sociale de l’environnement. Il poursuit :
« Pour faire simple, chacun d’entre nous prend quotidiennement une multitude de décisions. Une minorité d’entre elles sont réfléchies et font appel à la raison, ce qui nécessite du temps et des efforts, mais la majorité est prise de façon automatique et rapide, en fonction de nos intuitions ou de nos émotions… D’où un certain nombre d’erreurs ou de décisions qui sont en fait contraires à nos convictions. »

Une démarche ludique qui responsabilise
Le Nudge vise à nous inciter à agir de la « bonne » manière lorsque nous prenons des décisions en mode automatique, en actionnant plusieurs leviers de persuasion. La « ludification », autrement dit l’utilisation des principes du jeu, est un levier puissant.
Typiquement, pour inciter les passants à jeter leurs mégots dans un cendrier, une association environnementale a récemment déployé un cendrier-sondeur transparent dans une rue de Londres. Le fumeur jette son mégot dans la partie de ce grand cendrier coloré qui correspond au footballeur ou à la personnalité pour laquelle il souhaite voter… C’est un succès et l’initiative a, depuis, fait des émules en Alsace ou en Bretagne.
Lorsque vous utilisez des affichettes pour demander aux gens d’éteindre derrière eux la lumière des toilettes, vous obtenez en général de très mauvais résultats. »
Mickaël DupréChercheur en psychologie sociale de l'environnement
D’autres techniques de Nudge surfent sur la volonté des individus d’être dans la norme sociale. « Lorsque vous utilisez des affichettes pour demander aux gens d’éteindre derrière eux la lumière des toilettes, vous obtenez en général de très mauvais résultats », raconte Mickaël Dupré. « J’ai fait l’expérience d’un Nudge basique, mais efficace. L’affiche précise que “93 % des personnes se disent sensibles à l’environnement” avant de donner la consigne d’éteindre la lumière en sortant. »
Pour ce chercheur, les individus qui voient ces affiches jouent majoritairement le jeu. La raison ? Ils se considèrent comme des citoyens responsables et veulent agir en conséquence.
Pour la bonne cause, vraiment ?
Certains Nudges sont d’ailleurs utilisés depuis bien longtemps dans les services. « Typiquement, dans un self-service scolaire, pour éviter que les élèves ne surchargent leurs plateaux par crainte d’avoir faim, il peut être intéressant de leur servir immédiatement le plat chaud, avant qu’ils ne sélectionnent les fruits, les gâteaux ou les crudités dans la zone réfrigérée », relève Diane-Sophie Roubert, cofondatrice du cabinet de conseil lyonnais Positive Nudge.
« Dans un restaurant ou dans une cantine, la taille de l’assiette conditionne aussi la façon dont nous allons manger : c’est tout bête, mais plus l’assiette est petite et moins nous allons surconsommer et éventuellement gâcher de la nourriture. »
Le Nudge est-il un aspect du marketing comportemental ? « Non, à mon sens, il renvoie fondamentalement à l’idée de bien commun », souligne la même spécialiste. « Il n’est pas question d’utiliser le Nudge pour vendre un produit plutôt qu’un autre, mais plutôt pour sensibiliser les publics, par exemple sur les effets néfastes du tabac, là où les campagnes traditionnelles ont échoué. »
Un paternalisme libertaire
Dans une tribune publiée en 2015 sur le site du Point, Julien Damon, professeur à Sciences Po et fondateur du cabinet de conseil Éclairs, estime que l’utilisation du Nudge par les pouvoirs publics fait émerger « une sorte de troisième voie » dans nos démocraties (« entre les tenants d’un État intrusif, au risque d’affaiblir les libertés individuelles, et ceux du laissez-faire, au risque d’affaiblir l’existence collective »).
Selon lui, « les tenants du “paternalisme libertaire”, une approche nourrie de psychologie et d’économie comportementale, ne contraignent pas. Ils ne prescrivent pas. Ils suscitent ». Mais ils sont bel et bien paternalistes, parce qu’ils jugent « qu’il est légitime d’influencer les comportements individuels afin de rendre la vie des gens meilleure, plus longue et plus saine ».
« Le Nudge est très à la mode dans les entreprises et cela me chagrine un peu qu’il soit utilisé ailleurs que dans le champ social, pour tout ce qui touche à la santé, à la solidarité ou à l’environnement », opine Mickaël Dupré.
Mais les abus devraient être limités, car il y a des limites « naturelles » au pouvoir des Nudges. Chaque personne garde son libre arbitre. Pour qu’un Nudge fonctionne bien, il faut qu’il incite les individus à prendre des décisions en accord avec ce qu’ils pensent vraiment. Le Nudge ne peut pas manipuler.
D’autres limites devraient par ailleurs voir le jour avec le temps, et agir comme des garde-fous. « À un moment donné, nous allons nous habituer aux Nudges et ils ne fonctionneront plus », conclut Mickaël Dupré. « Certaines astuces qui marchent très bien aujourd’hui seront connues comme le loup blanc ». Tant et si bien que les personnes visées risquent de se méfier et de réfléchir à deux fois avant d’entreprendre l’action demandée.
Pour aller plus loin
- Lire l’article « Arrêtez de nous prendre pour des e-cons ! », dans Pour la science (www.pourlascience.fr/).
- Lire « Les Nudges peuvent enrichir l’action publique locale », dans Le Courrier des maires et des élus locaux (www.courrierdesmaires.fr).
- Consulter au format PDF le « Guide de l’économie comportementale » (268 pages), dirigé par la branche « Nudge Unit » de l’institut BVA.