Dans le quartier du Sentier, à Paris, l’empire du commerce de gros du textile, la scène se répète à l’envi. Des hommes, généralement d’origine indienne ou pakistanaise, se tiennent au coin des rues, disponibles pour charrier les lourds rouleaux de tissu vers les échoppes des grossistes, moyennant un prix fixé verbalement.
Une scène qui peut se dérouler n’importe où dans le monde – villes d’Asie, quartiers pauvres d’Amérique du Sud ou ports d’Afrique – et qui incarne parfaitement ce qu’est le marché du travail : la rencontre entre une offre de travail – les Indiens qui proposent leurs bras et leur force pour charrier les rouleaux – et la demande – celle des commerçants qui ont besoin de faire transporter la marchandise. Quant au prix fixé pour cette transaction, variable selon l’offre et la demande, il porte un nom : le salaire.
L’offre et la demande
À l’échelle d’une ville ou d’un pays, le marché du travail devient bien évidemment abstrait, car, à cette échelle, il est impossible pour les travailleurs de se réunir sur la « place du village » afin de répondre aux demandes des artisans ou des commerçants ! Dans ce marché abstrait, l’offre de travail provient de ce que l’on appelle la population active : les personnes en âge de travailler et disponibles pour le faire, qui proposent leur force physique ou leur savoir-faire.
La demande, elle, émane des entreprises, publiques ou privées, qui ont besoin de bras ou de matière grise pour produire biens et services.
« Dans un monde théorique parfait, on aurait un prix (un niveau de salaire) permettant de toujours équilibrer l’offre et la demande de travail », explique Éric Heyer, chef économiste à l’OFCE. « Il n’y aurait donc jamais de chômage. »
Dans la réalité, le chômage existe dans pratiquement toutes les économies et les salaires ne résultent pas seulement de l’offre et la demande. En France, la loi du 11 février 1950 a instauré un salaire minimum. D’autres lois viennent « réguler », selon l’expression consacrée, le marché du travail : elles fixent, par exemple, la durée maximale du travail, les normes d’hygiène et de sécurité, protègent certains droits du travailleur (congés maladie, congés payés…).
Libéraux vs keynésiens
Les qualifications sont aussi une donnée importante sur ce marché. Une entreprise qui recherche un ingénieur ne va pas recruter un ouvrier non qualifié, car il ne répondra pas à son besoin. L’inverse est également vrai. Le niveau de diplôme introduit donc une « segmentation » du marché du travail, de même que le sexe, l’âge ou la nationalité, qui fait que deux personnes ne sont pas égales sur ce marché.
Cela signifie-t-il que le chômage résulte seulement de cet ensemble de « rigidités » ? Autrement dit, suffirait-il de « déréguler » pour que les chômeurs trouvent tous un emploi ? Sur ce point, les économistes s’opposent.
Les libéraux considèrent effectivement qu’il ne peut pas y avoir d’autres raisons au chômage que ces rigidités. Simplifier le Code du travail, baisser le salaire minimum, réduire les cotisations sociales seraient donc de bons outils pour lutter contre le chômage. L’expérience espagnole, où le chômage est passé de 9 % à 20 % de la population active pendant la crise malgré une forte flexibilisation du marché, apporte des nuances à cette analyse.
Les keynésiens, eux, ont une autre vision. Ils pensent que le chômage résulte d’une demande de travail trop faible : en clair, les carnets de commandes des entreprises ne sont pas assez fournis pour les inciter à embaucher une main-d’œuvre supplémentaire.
Pour rééquilibrer offre et demande, il convient donc d’alimenter ce carnet de commandes, par exemple par la commande publique : écoles, routes ou hôpitaux… Avec, toutefois, une conséquence notable : l’augmentation de la dépense publique et donc, souvent, un alourdissement de la dette publique. Non content d’être un marché très particulier, le marché du travail est donc fortement corrélé aux autres données de l’économie.