C’est la voie suivie par le biologiste Richard Dawkins1, né en 1941, qui proposa une théorie appelée « mémétique » visant à expliquer l’évolution et le succès de certaines idées ou pratiques culturelles de la même manière que l’évolution naturelle.
La biologie explique l’évolution naturelle en analysant les phénomènes de sélection qui se produisent au niveau d’un « réservoir génique » donné, c’est-à-dire au niveau de l’ensemble des gènes présents au sein d’une population animale.
L’idée de Dawkins est que ce modèle sélectif pourrait être appliqué par analogie à de petites unités culturelles comparables aux gènes : les mèmes (à ne pas confondre avec les parodies d’internet).
Un mème peut être une croyance, une idée, une histoire, une façon se comporter, etc. Le point central est que, comme les gènes, les mèmes seraient des réplicateurs : des entités capables de produire des copies d’elles-mêmes.
Si les gènes se répliquent et se diffusent par la reproduction des organismes qui les portent, les mèmes le feraient par imitation : quelqu’un entend une histoire nouvelle, la trouve intéressante et décide de la raconter à son tour (imitation).
Si cette histoire suscite de l’intérêt chez des personnes qui l’entendent, alors le processus se répètera et l’histoire en question finira par se retrouver dans l’esprit d’un grand nombre d’individus : elle sera devenue un mème à succès.
Réservoir de mèmes
Tout comme certains gènes sont sélectionnés et d’autres non au sein d’une population animale, les mèmes ne connaissent pas tous un succès identique : certains disparaissent rapidement, tandis que d’autres se répliqueront et habiteront les esprits des individus sur plusieurs générations – c’est le cas, par exemple, des mèmes « dieu chrétien » ou « histoire du petit Chaperon rouge ».
Expliquer l’évolution culturelle reviendrait donc à analyser les processus sélectifs qui opèrent au niveau d’un « réservoir de mèmes », c’est-à-dire d’une culture.
Précisons qu’un mème n’a pas besoin d’apporter un avantage sur le plan biologique pour se diffuser. Il lui suffit d’être attractif.
Ainsi, un mème peut tout à fait connaître une large diffusion, tout en ayant pour conséquence de diminuer la capacité reproductive des individus qui l’ont en tête. Dawkins donne l’exemple du célibat des prêtres : il s’agit là d’un mème « contre-adaptatif » d’un point de vue biologique pour les prêtres, puisqu’il leur interdit d’avoir des enfants.
Pourtant, rien ne l’empêche de se répandre dans l’esprit de nombreux individus, car sa diffusion ne passe pas par la reproduction, mais par l’imitation.
Un concept inabouti
Si la mémétique a pu susciter de l’enthousiasme, il paraît clair aujourd’hui que cette approche est vouée à l’échec. En effet, l’analogie sur laquelle elle repose ne tient pas2.
Les copies d’un gène, qui circulent au sein d’une population animale, en sont réellement des copies : elles ont exactement la même structure chimique que le gène original. On peut donc bien dire qu’un gène identique est porté par plusieurs individus de la population.
Mais la situation est différente pour les mèmes : il n’existe pas deux personnes qui partagent exactement la même conception du mème « dieu chrétien », par exemple.
Cela découle du fait que les mèmes se transmettent par imitation, non par reproduction. Or, imiter le comportement ou les idées des autres revient à s’en faire une représentation à partir de leur expression publique.
Autrement dit, à la différence des gènes, les mèmes ne se répliquent pas, mais ils sont plus ou moins fidèlement interprétés et reconstruits par les imitateurs. Il est ainsi peu probable que les éventuels mécanismes qui orientent la sélection des mèmes soient comparables à ceux qui s’appliquent à la sélection des gènes.
La théorie de l’évolution naturelle ne peut donc pas être utilisée par analogie pour expliquer la diffusion de pratiques ou de représentations culturelles. Mais peut-elle l’être autrement ? C’est ce que nous verrons le mois prochain.