« Comprenez donc que la spéculation […] établit une énorme circulation d’argent, qui est la vie même des grandes affaires. […] On perd, mais on gagne, on espère un bon numéro, mais on doit s’attendre toujours à en tirer un mauvais. » Ces phrases ne sont pas issues d’un manuel d’économie, mais d’un roman d’Émile Zola, L’Argent, dans lequel il met en scène Aristide Saccard, un ardent spéculateur.
À l’instar d’un investisseur, le spéculateur a pour but de réaliser un gain lorsqu’il intervient sur les marchés financiers. Toutefois, comme il aspire à un gain plus important que l’investisseur, il prend également un risque plus grand.
En outre, à la différence d’un investisseur, le spéculateur agit sur le court terme et n’est intéressé que par la plus-value financière.
En ce sens, l’économiste Nicholas Kaldor définit la spéculation en général comme « l’achat (ou la vente) de biens avec intention de revente (ou de rachat) à une date ultérieure, lorsque l’action est motivée par l’espoir d’une modification du prix en vigueur et non par l’avantage lié à l’usage du bien ».
Appliquée au monde de la finance, cette définition est valable pour les matières premières, les devises, les marchandises, les immeubles ou encore les actions d’une entreprise.
Un transfert des risques
En étant prêts à prendre des risques importants, les spéculateurs permettent tout d’abord à des agents économiques de se « couvrir ». Cette pratique est courante dans l’agriculture où de nombreuses incertitudes portent sur les récoltes chaque année.
Si un agriculteur craint des conditions défavorables, il peut choisir de vendre sa récolte en avance à un prix assez bas qui lui garantira toutefois un revenu minimum. Un spéculateur qui anticipe l’inverse peut alors décider de l’acheter. Il ne sera gagnant que si le prix au moment de la récolte est finalement supérieur au prix initial. Autrement, il devra assumer le risque qu’il a accepté de prendre à la place de l’agriculteur.
Les spéculateurs garantissent également la liquidité des marchés financiers. Ainsi, même une entreprise en difficulté financière parviendra à vendre ses titres à des spéculateurs qui parieront sur leur hausse future. Leur action peut en outre permettre de stabiliser les cours. C’est le cas si un spéculateur anticipe que la hausse du prix d’un actif n’est que temporaire et décide de le vendre, contribuant ainsi à faire baisser ce prix et à le ramener à l’équilibre.
Le danger des bulles
En revanche, la spéculation est déstabilisatrice dès lors que les spéculateurs anticipent qu’une tendance va durer. Cela s’est passé avec les titres des sociétés Internet à la fin des années 1990. Leur valeur était orientée à la hausse du fait de l’espoir placé dans les nouvelles technologies. Anticipant une poursuite de cette hausse, des spéculateurs ont acheté ces titres, entraînant dans leur sillage d’autres acheteurs moins experts au comportement moutonnier, puis d’autres encore et ainsi de suite : les anticipations se sont autoréalisées.
C’est seulement quand certains spéculateurs ont estimé, au début des années 2000, que les prix avaient atteint un niveau proche de leur maximum qu’ils ont décidé de vendre, déclenchant une revente en masse de ces titres dans un élan de panique, et provoquant du coup un krach boursier quand la valeur des titres s’est effondrée.
Des mécanismes similaires ont plus tard contribué à la crise des subprimes de 2007, l’engouement portant cette fois sur les prêts immobiliers, en particulier aux États-Unis. Depuis, des réglementations ont cherché à encadrer la spéculation, un phénomène inhérent aux marchés financiers. Pourtant, les risques de bulles spéculatives persistent.