Libéralisme et fascisme : les deux faces d’une même pièce ?
Pour l’économiste austro-hongrois, le libéralisme du XIXe siècle entendait construire un système complet de marchés, ce qui supposait à ses yeux de mettre l’ensemble de la société au service de la logique marchande.
Selon lui, l’émergence des institutions de marché date du début du XIXe siècle. Avant cette période, la logique marchande est quasiment absente . L’économiste socialiste prend l’exemple du marché du travail, pure création, selon lui ,de cette logique libérale.
Auparavant, un ouvrier commençait sa carrière en tant qu’apprenti dans une corporation et travaillait souvent toute sa vie dans la même structure. La concurrence entre les entreprises était absente. L’État était présent car il régulait les salaires. La corporation fonctionnait selon des règles internes très strictes.
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Il en allait de même dans le monde agricole. Les relations entre les propriétaires fonciers et les agriculteurs n’étaient pas régies par la concurrence, mais par un rapport de domination. Quant aux “indigents”, c’est-à-dire ceux qui ne travaillaient pas, ils étaient pris en charge par les paroisses (loi sur les pauvres du XVIe au XIXe siècle au Royaume-Uni). « Dans aucune société traditionnelle, les gens ne meurent de faim », écrivait Polanyi.
Au cours du XIXe siècle, l’économiste constate l’émergence de la logique libérale : mise en concurrence des travailleurs (création du marché du travail) et des entreprises, relégation de l’État au second rang, coordination par les marchés, etc.
La libéralisation et l’extension des marchés suscitent un affaiblissement des institutions traditionnelles et font émerger des contre-mouvements. Les travailleurs, désormais considérés comme de « simples marchandises », peuvent être bousculés, employés à tort et à travers, ou même laissés inutilisés. L’autonomisation des marchés (désencastrement) vis-à-vis de toutes les lois sociales, morales, éthiques des sociétés traditionnelles affaiblit la cohésion sociale, provoquant une défiance généralisée envers les institutions.
Un contexte similaire à la situation actuelle ?
David Cayla, économiste, enseignant-chercheur à l’université d’Angers et spécialiste de la pensée de Polanyi, affirme dans son livre Populisme et Néolibéralisme que le contexte actuel des législatives s’inscrit dans un nouveau “moment Polanyien”.
« Emmanuel Macron, mais également ses prédécesseurs ont, à travers leur politique, cherché à réorganiser la société dans le cadre de la mondialisation et du marché unique européen. »
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Éco-mots
Marché unique
Le marché intérieur de l’Union européenne, aussi appelé marché unique, est une union économique et douanière entre tous les États membres de l’UE, qui repose sur quatre libertés fondamentales : la libre circulation des biens et des services, des capitaux et des personnes.
En jouant le jeu de la mondialisation, « Emmanuel Macron fut contraint de mener des politiques d’attractivité en abaissant la fiscalité du capital (suppression de l’impôt sur la fortune, instauration de la flat tax), et le coût du travail (crédit d’impôt compétitivité emploi, baisse de cotisations, flexibilisation du marché du travail) ».
Pour ce membre des Économistes atterrés, ce type de politique occasionne un manque à gagner que l'état finance en faisant des coupes budgétaires dans les services publicsn ce qui conduit à « affaiblir les institutions, car les citoyens ont le sentiment que l’État n’est plus là pour servir le citoyen. Cet affaiblissement crée à son tour du populisme ».
Éco-mots
Populisme
Approche politique qui a tendance à opposer le peuple aux élites politiques, économiques ou médiatiques. Pour les "populistes", la démocratie représentative fonctionne mal et ne tient pas ses promesses. Le terme, aux contours souvent flous et soumis à de nombreuses controverses, est tour à tour utilisé pour disqualifier “l’irréalisme” d'un adversaire idéologique ou pour mettre en garde contre la démagogie.
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Trop de marché ou trop d’État ?
Une analyse que réfute Erwann Tison, directeur des études à l’Institut Sapiens, d’obédience libérale : « C’est la surabondance de l’intervention étatique dans l’ensemble des pans de l’économie, depuis ces quinze-vingt dernières années, qui provoque cette crise politique ».
Pour lui, le vote pour les extrêmes traduit surtout la demande croissante pour un impossible « État nounou ». « L’abstention peut être expliquée par le fait que de plus en plus de Français se rendent compte que l’État ne peut pas tout faire pour eux. Et quand on fait ce constat, on décide soit de ne plus voter, soit de voter pour ceux qui promettent le plus de protection possible. »
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