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Pour la première fois au XXIe siècle, avec l’invasion de l’Ukraine, l’Europe est confrontée à une guerre sur son sol. Les raisons pour lesquelles un pays déclenche un conflit peuvent être extrêmement nombreuses : la défense de ses intérêts, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, de son territoire ou bien encore de son organisation politique est un motif très souvent mis en avant par les belligérants.
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Depuis l’Antiquité, d’autres ambitions ont pu aussi être à l’origine des guerres : s’approprier les richesses des voisins, capturer des hommes pour les faire travailler ont souvent été les mobiles principaux des agressions. Dans bien des cas, les motifs économiques ne sont donc pas étrangers à la guerre.
Elle coûte
La guerre est une grosse consommatrice de ressources humaines et matérielles : son financement est le premier impératif. Dans l’Histoire, il pèse lourd dans la vie des peuples : pour financer le conflit avec l’Angleterre, Philippe le Bel (1268-1314) change à six reprises de monnaie, impose lourdement les paysans, emprunte, rançonne les Juifs, élimine les Templiers (brûler le banquier évite de le rembourser !) pour trouver les ressources nécessaires. Il y gagne sa réputation de « faux-monnayeur ».
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À la fin du XVIIIe siècle, la dette de la monarchie s’accroît brutalement lors du soutien aux insurgés américains : l’aide française permet la défaite anglaise de 1783, mais précipite la faillite financière du royaume de France, qui débouche sur la convocation des États Généraux et enclenche le processus qui conduit à la révolution de 1789.
Au fur et à mesure que les techniques se sophistiquent, la guerre devient de plus en plus coûteuse. L’industrialisation met à la disposition des nations des armements perfectionnés : la Révolution Industrielle change la donne.
La guerre de Sécession (1861) et la guerre franco-prussienne (1870) sont les premiers conflits modernes : mitrailleuses, chemin de fer, artillerie, sont utilisés de manière intensive, augmentant les pertes et les dépenses.
Entre 1871 et 1914, une course aux armements oppose les grandes nations : au début du XXe siècle, les dépenses militaires représentent 25 % des dépenses publiques en France ou en Allemagne.
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La Première Guerre mondiale marque un tournant : pour la première fois, les belligérants doivent mettre en place une économie de guerre qui repose sur la mobilisation des ressources humaines, productives et financières.
Il faut répartir les facteurs de production, les matières premières, planifier et organiser la défense nationale et rationner les populations civiles : la guerre suspend les mécanismes du marché et conduit au dirigisme étatique.
En Allemagne, très rapidement, est mis en place un office de guerre sous la coupe de l’état-major ; en France, en 1915, est créé un ministère de l’Armement. Paradoxalement, c’est aux États-Unis, patrie du libéralisme, que se met en place le système le plus efficace avec la création en 1917 du War Industries Board. Dans ce contexte, l’État et les industriels apprennent à travailler ensemble
La Première Guerre mondiale inaugure aussi une nouvelle logique de règlement des conflits. Pour financer la reconstruction des pays vainqueurs, le Traité de Versailles condamne l’Allemagne à de lourdes réparations : Keynes note qu’à vouloir faire payer les vaincus, les vainqueurs supporteront le coût de la paix et précipiteront la guerre suivante.
L’Allemagne ne paya jamais vraiment, mais l’esprit de revanche en sortit attisé. Il est donc possible de gagner la guerre, mais de perdre la paix.
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Elle rapporte
La guerre est aussi un moyen de prendre le contrôle de richesses ou de ressources nécessaires. Dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, « guerre » rime avec « pillage », comme le montre le sac de Constantinople par les Croisés, en 1204.
Les guerres coloniales avaient souvent pour objectif de conquérir les régions riches en main-d’œuvre ou en matières premières et de s’assurer des relais et des débouchés commerciaux. C’est ce qu’a voulu faire le Japon dans les années 30 en attaquant la Chine.
Dans les années 1990 et 2000, le pétrole n’est pas étranger aux opérations militaires américaines au Moyen-Orient. Il se peut qu’aujourd’hui, les richesses du Donbass soient un des objectifs de la guerre en Ukraine.
Elle tue
Le bilan économique des guerres est sujet à controverse. Les dépenses engagées sont énormes et les bilans, souvent très lourds. Les pertes humaines gigantesques ont des conséquences économiques majeures, à court et long terme : 10 millions de morts entre 1914 et 1918, 60 millions entre 1939 et 1945.
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Des générations, et leur potentiel économique, anéanties. La guerre du Vietnam a dégradé les finances des États-Unis, stimulé la contestation et les communistes ont gagné, en 1975. Les guerres du Moyen-Orient ont causé de grands dégâts, attisé la haine des Occidentaux et alimenté le terrorisme islamiste.
Conquérir des territoires est parfois possible, les contrôler, toujours coûteux ; les bénéfices sont aléatoires alors que les pertes sont presque certaines.
La crise des années 30 n’est-elle pas une des répercussions des désordres monétaires et financiers nés de la Grande Guerre ?
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