Ça y est, les vacances d’été offrent une pause méritée de huit semaines pour près de 13 millions d’écoliers français. Même si la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE – 6 semaines en Allemagne et 13 semaines en Italie – la durée de ces vacances est jugée trop longue car facteur d’aggravation des inégalités sociales et scolaires.
C’est en tout cas, le lien établi par Emmanuel Macron fin juin, lors de sa visite à Marseille. Publiée en avril 2023, une étude du ministère de l’Éducation nationale a mesuré les résultats en mathématiques et en Français des élèves en classe de CP. Au début de l’année, les résultats de ceux scolarisés en zone d’éducation prioritaire sont 20 points inférieurs aux résultats des autres élèves. Durant l’année, l’écart se réduit avant de se creuser de nouveau au moment des grandes vacances. Mais que se passe-t-il durant les vacances qui expliquerait cette accentuation des inégalités ?
Des activités différentes selon les catégories sociales
En fait, la durée des vacances ne serait qu’une entrée réductrice dans l’explication de ce phénomène. Seule certitude : l’été, tous les enfants ne partent pas en vacances et ne s’engagent pas dans les mêmes activités.
Cette année encore, un peu plus de la moitié des Français ne part pas en vacances cet été. Parce que les vacances coûtent cher, les raisons financières sont le premier motif de non-départ. Sans surprise, ce sont les catégories aisées qui partent davantage notamment car elles ont un plus haut revenu mais aussi car cela fait partie de leur habitude – elles y ont pris goût, pratiquent une langue étrangère et se sentent à l’aise hors de chez elles. Mécaniquement, le taux de départ en vacances des enfants varie selon le revenu des parents.
En 2022, selon le CREDOC, 38 % des enfants dont les parents ont des bas revenus sont partis en vacances, soit près de deux fois moins par rapport aux enfants dont les parents ont des hauts revenus. Et, si ce sont les départs en famille qui restent majoritaires, les modes de vacances sont plus diversifiés pour les enfants dont les parents disposent de hauts revenus.
Par exemple, en 2020, selon l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), les enfants issus de milieu favorisé partent davantage en colonies de vacances. Une tendance que l’on retrouve aussi dans l’accueil de loisirs où 42 % des enfants dont les parents disposent de hauts revenus y sont inscrits contre 14 % des enfants dont les parents disposent de faibles revenus.
Plus généralement, les inégalités touchent l’ensemble des activités extrascolaires, largement investies durant les vacances d’été. Bernard Lahire, dans son ouvrage collectif Enfances de Classe (2019), montre que si ¾ des enfants à leur rentrée au CP fréquentaient les cinémas, les cirques ou les bibliothèques, l’intensité de la fréquentation de ces lieux est corrélé au milieu social des enfants.
Ce sont ceux issus de milieu favorisé qui multiplient les sorties culturelles. En ce qui concerne les loisirs d’intérieur, les disparités en termes de biens d’équipement ou culturels – livres, équipements numériques, etc. – ont largement diminué ces dernières années. Il n’est plus rare de voir des livres ou des ordinateurs dans les ménages français.
Pour autant, les inégalités résident à un niveau plus fin : les usages et leurs régulations ne sont pas les mêmes. Autrement dit, en fonction du milieu social, le type de livre, le degré de richesse de la langue ou la récurrence des lectures ne sera pas identique. Or, la lecture, la musique, la danse ou même l’utilisation des écrans peuvent favoriser l’acquisition d’habitudes, de goûts ou de compétences qui pourront être réinvestis à l’école. Aussi, la manière d’investir le jeu et les loisirs varie, là aussi, selon le milieu social.
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Des "jeux apprenants" chez les CSP +
La sociologue Sandrine Vincent (2001) a mis en évidence que dans les classes populaires, le temps de loisir était bien distinct du temps scolaire. Dans ce cas de figure, c’est l’aspect divertissant qui est privilégié. À l’inverse, dans les milieux plus aisés, on considère les jeux davantage comme une occasion d’entraînement scolaire.
Pour Bernard Lahire, ce « travail éducatif caché », effectué sur le temps libre et l’été, contribue et renforce les inégalités scolaires. En valorisant des compétences non enseignées mais largement valorisées à l’école, les familles aisées se distinguent des autres. Enfin, pour jouer avec son enfant durant les vacances scolaires, encore faut-il en avoir le temps. Les enquêtes « Emplois du temps » de l’INSEE mettent en évidence que plus on monte dans l’échelle sociale, plus le temps consacré aux jeux et activités familiales augmente.
Faut-il, néanmoins réduire la durée des vacances scolaires ? Pas forcément car le temps des vacances reste un moment essentiel dans la socialisation des enfants. Les activités qui y sont pratiquées ne sont certes pas scolaires mais elles sont très éducatives car elles permettent une ouverture sur le monde, de rompre avec ces habitudes quotidiennes ou encore de s’affranchir du cadre parental.
En somme, elles permettent… de grandir. C’est aussi un élément fort de l’intégration sociale. Les familles ne pouvant pas offrir de vacances à leurs enfants expriment très souvent un sentiment d’exclusion. Les vacances créent aussi de la sociabilité et pas seulement sur les lieux même de vacances mais aussi au retour : on raconte ces nouvelles rencontres, les activités pratiquées à son entourage et à ses camarades de classe. Une étude de l’INJEP (2020) met en avant comment les colonies, « institutions enveloppantes », permettent de créer du collectif mais aussi de à la transformation de soi.
Quelle solution ? Aujourd’hui, de nombreux dispositifs existent pour favoriser les départs de vacances à l’instar des aides financières de la Caisse d’Allocations Familiales ou les chèques-vacances. Une plus grande visibilité de celles-ci permettrait peut-être de lever les freins financiers et sociaux au départ en vacances des plus modestes.