De fait, si 1911 est « l’année de la vie chère » quand l’ancêtre de l’Insee commence à publier, à compter de 1912, un premier indice des prix de détail, l’inflation s’installe comme un déséquilibre durable en 1914.
L’explication est simple : pour faire face aux besoins considérables de financement de la Grande Guerre (1914-1918), la France préfère « faire tourner la planche à billets » plutôt que d’augmenter les impôts ou de souscrire de la dette.
La masse monétaire de 1918 est ainsi environ sept fois plus importante que celle de 1914 ! La sanction, c’est l’inflation : par rapport à 1913, les prix ont triplé fin 1918, sextuplé en 1928 quand le franc a perdu 80 % de sa valeur-or de 1913…
Pourtant, la croissance française des années 1920 est vigoureuse ; l’inflation française d’après-guerre a sans aucun doute stimulé les exportations (la dépréciation du franc rend les prix des produits compétitifs sur les marchés étrangers) et surtout les investissements (en allégeant le coût réel de l’emprunt).
Les gagnants : les firmes spécialisées dans la compétitivité prix, les entreprises qui renouvellent leurs machines ou les particuliers qui achètent un bien immobilier, dont la valeur réelle de la dette est réduite par l’inflation.
Ajoutons un bénéficiaire honteux, l’État, qui rembourse les souscripteurs de dette publique en monnaie affaiblie…
Mais l’inflation fait aussi des perdants : les rentiers « euthanasiés », selon la formule de Keynes, les revenus fixes comme les pensionnés de guerre, par exemple ; le type social du rentier fortuné d’avant 1914 meurt avec l’inflation. Même contexte, même choix inflationniste ?
De Gaulle choisit l’inflation
À l’été 1944, de Gaulle arrive au pouvoir dans une France en guerre où tout est à refaire. Il a le choix entre deux options monétaires.
Le socialiste Pierre Mendès France suggère d’agir sur les causes de l’inflation en restreignant la masse monétaire. Le démocrate-chrétien René Pleven propose de « laisser filer » l’inflation, escomptant sur un après-guerre porteur de croissance comme dans les années 1920.
Comme toujours en matière monétaire, le politique tranche : de Gaulle, qui considère qu’on ne peut exiger des Français un sacrifice monétaire supplémentaire, suit Pleven.
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Arriérés de hausses de prix soumis au blocage depuis 1939, pénuries d’offre, vigueur de la reprise : les moteurs de la « grande inflation » des années 1944-1949 propulsent la hausse des prix à un pic de 60 % en 1946-1948.
Face à cette flambée, l’État crée le Salaire minimum interprofessionnel Garanti (SMIG) en 1950, indexé sur les prix à partir de 1952. À partir des années suivantes, l’inflation française décroit à 5-6 %.
« Anticipée par tous, mesurée avec précision, prise en compte par avance dans les décisions des firmes et des négociations collectives, elle est de plus en plus reconnue comme le prix à payer – somme toute raisonnable – pour une croissance forte, sans chômage et sans récession », selon l’économiste Jean-Charles Asselain. Ce n’est que vers 1970 que l’inflation mondiale rejoint l’inflation française.
Un choc et ça repart
Ravivée par le choc pétrolier de 1973, l’inflation mondiale s’emballe : la France ne fait plus exception avec un pic à 14 % en 1974-1975.
C’est la stagflation découverte par Milton Friedman, un mélange de récession à 2 % de croissance et de hausse inédite des prix. Le choix social inflationniste de la France demeure très favorable aux salariés, dont les revenus réels, avec le SMIC, sont indexés à partir de 1970 sur la productivité en sus des prix !
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Une inflation encore favorable aux emprunteurs dont les taux d’intérêt réels sont parfois négatifs. Ce sont donc les entreprises, dont les marges s’érodent, qui paient la note. Les Français s’accommodent pourtant mieux que les Allemands de l’inflation, dont le rythme est environ deux fois plus soutenu qu’outre Rhin.
Ce différentiel d’inflation impose des dévaluations répétées du Franc : en tout -14,25 % de 1981 à 1986. Après l’échec de la relance socialiste de 1981-1982, la France choisit enfin de lutter contre les causes de l’inflation : la désindexation des salaires est imposée en 1982.
Ce n’est qu’à l’occasion de la marche vers l’euro que la France opte pour le « franc fort » qui meurt à… Francfort, en 1999.
Avec l’euro, la France a abandonné sa souveraineté monétaire et ne peut plus arbitrer en faveur de l’inflation, ni dévaluer sa monnaie. Depuis, la hausse des prix en France s’établit à 2 % par an environ : la désinflation s’est installée.
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Folles années 50
L’inflation subie des années 1920 n’est plus un problème dans les années 1950-1975 pour les entreprises qui répercutent la hausse des prix sur les prix finaux (à l’exception des assureurs qui tardent à indexer les primes) et compensent les hausses de salaires par des gains de productivité considérables de 5 % par an.
L’État se finance à très bon prix et peut moderniser ses infrastructures. La consommation de biens (semi-) durables est enfin dopée car il est opportun d’acheter aujourd’hui ce qui sera plus cher demain. Les salariés français sont enfin protégés de l’inflation par l’indexation des salaires.
« Bref, l’inflation dopa consommateurs et producteurs […] Les années 1950 et 1960 [ont été] des périodes de fête où il valait mieux être consommateur et débiteur qu’épargnant et créancier », rappelle Jacques Marseille. Et cette inflation, la plus forte du monde développé (Japon excepté), reste associée dans la mémoire collective des Français à la croissance des Trente Glorieuses.
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