Mais tout compte fait, la fréquentation d’une même école par des élèves venus de milieux très différents améliore-t-elle vraiment les parcours des enfants issus des familles les plus défavorisées ?
Mieux payés et plus stables
Le programme « Moving to opportunity » mis en place aux États-Unis entre 1994 et 1998 apporte de précieux éléments de réponse. Il a concerné 4 604 familles vivant dans les quartiers les plus pauvres de Baltimore, Boston, Chicago, Los Angeles et New York.
Parmi ces familles, environ la moitié a bénéficié, par tirage au sort, d’un bon pour financer une grande partie de leur loyer si elles déménageaient dans un quartier plus aisé (où le taux de pauvreté est inférieur à 10 %). Leurs parcours sont suivis régulièrement depuis une vingtaine d’années et sont comparés à ceux des familles n’ayant pas déménagé.
Les enfants des familles ayant déménagé vers des quartiers plus aisés n’ont pas tous retiré les bénéfices escomptés. Une équipe de chercheurs a examiné séparément le destin des enfants âgés de moins de 13 ans au moment du déménagement et celui des enfants de plus de 13 ans au même moment.
Les enfants dont la famille a déménagé dans un quartier aisé quand ils avaient moins de 13 ans atteignent des niveaux d’études plus élevés : ils ont une probabilité de 16 % supérieure à celle de leurs homologues n’ayant pas déménagé, de poursuivre des études au-delà de 18 ans.
Leurs gains financiers sont substantiels : au cours de leur vie active, ils obtiennent en moyenne un revenu annuel de 31 % supérieur à celui de leurs homologues n’ayant pas déménagé. Enfin, ils sont moins susceptibles de se séparer de leur conjoint et de vivre dans des quartiers pauvres une fois devenus adultes.
Plombant après 25 ans
En revanche, s’installer dans un quartier « riche » a un impact plutôt négatif sur les études et les revenus futurs des enfants ayant plus de 13 ans au moment du déménagement. La raison tient à un effet de « disruption » : les enfants plus âgés, plus marqués par leur milieu d’origine, ont beaucoup de mal à s’intégrer dans un nouvel environnement. Pour un adolescent, être coupé brutalement de son milieu d’origine perturbe fortement son développement.
Cette différence de destin entre les enfants de moins de 13 ans et ceux de plus de 13 ans illustre un résultat plus général, à savoir que les gains de la mixité sociale diminuent régulièrement avec l’âge.

Le graphique montre ainsi que les gains à déménager du centre de Seattle, une zone de forte pauvreté, vers Shoreline, un quartier nettement plus favorisé et situé à seulement une quinzaine de kilomètres, décroissent régulièrement avec l’âge de l’enfant au moment du déménagement et deviennent même négatifs si cet âge dépasse 25 ans. Les politiques favorisant la mixité sociale doivent donc cibler très prioritairement les familles ayant des enfants en bas âge.
Ascenseur social et emploi : les liaisons surprenantes
Une étude2 portant sur un échantillon de 20 millions d’Américains a montré qu’il n’y a aucun lien entre les revenus des adultes et la création d’emplois dans les villes où ils ont passé leur enfance.
Par exemple, Atlanta et Charlotte ont bénéficié d’une croissance économique élevée au cours des deux dernières décennies, mais les enfants qui y ont grandi dans des familles pauvres n’ont connu qu’une très faible ascension sociale.
La réussite économique de ces deux villes s’est faite en attirant des personnes extérieures, plus qualifiées, pour occuper les emplois créés localement. En revanche, l’étude met en évidence une forte corrélation positive entre les taux d’emploi des adultes dans une région et l’ascension sociale des enfants qui ont grandi dans cette région.
Grandir auprès de personnes insérées dans le monde du travail favorise plus la mobilité sociale que l’existence d’emplois à proximité.